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Auteur : Dainius Vaitiekūnas

 

1.1. Cadre général introductif

1.1.1. Quel est le premier texte traduit ?

Le premier texte traduit en lituanien est une traduction du Petit Catéchisme de Luther par Martynas Mažvydas, pasteur de Ragainė (bourgade à l’Ouest du Niémen, en Prusse Orientale), sous titre Katekizmo prasti žodžiai, mokslas skaitymo rašto ir giesmės dėl krikščionystės bei dėl bernelių jaunų naujai suguldytos. C’est aussi le premier livre lituanien. Il a été publié à Karaliaučius (Königsberg) en 1547. Il y a aussi dans ce livre de 79 pages des psaumes et un poème en lituanien (la préface est le premier poème lituanien) et un abécédaire en sus du catéchisme luthérien. Il ne reste que deux exemplaires de ce livre (dans les bibliothèques de l’Université de Vilnius, Lituanie, et de l’Université de Torun, Pologne). Cette traduction fut commanditée par le duc Albert de Brandebourg pour soutenir la religion de Luther.

1.1.2. À quelle époque commence-t-on à traduire les textes religieux dans votre langue ?

À l’époque de la Renaissance. Au XVIe siècle des pasteurs de religion protestante de Prusse Orientale commencent à traduire les textes sacrés dans la langue lituanienne. La Lituanie de Prusse appartenait depuis le XIIIe siècle à l’Ordre Teutonique sécularisé en 1525. Albert de Brandebourg, son grand maître, devenu duc de Prusse, voulait s’attacher les Lituaniens de son duché et exercer son influence par la propagation de la foi de Luther dans le Grand-Duché de Lituanie. Il fonde l’université de Karaliaučius (Königsberg) en 1544 et il attire les Lituaniens du Grand-Duché. Le début des traductions est associé à la Réforme, à la propagande du nouvel Évangile luthérien.

La Réforme en Lituanie de Prusse a influencé la Contre-Réforme à Vilnius où a commencé l’édition de traductions en lituanien des textes sacrés. Les jésuites, par décret du roi Stefan Batory (en lit. Steponas Batoras), ont fondé l’Académie des jésuites, qui se transforma rapidement en université, à Vilnius en 1579. La littérature catholique prit son essor.

1.1.3. Date de la première traduction intégrale de la Bible ?

La première traduction et édition intégrale de la Bible (luthérienne) en langue lituanienne date de 1590, elle a été traduite par Jonas Bretkūnas (1536-1602), officier du culte à Karaliaučius (Königsberg) qui a effectué un travail minutieux pendant dix ans. Bretkūnas a effectué sa traduction en s’appuyant sur la Bible latine et la Bible allemande luthérienne, faisant des comparaisons avec les textes grec et hébreux. Ce manuscrit, le plus grand écrit au XVIe siècle en lituanien, n’a pas été publié avant la fin du XXe siècle ; une copie a été publiée par les professeurs allemands Jochen D. Range et Friedrich Scholz. Les huit volumes du manuscrit original sont conservés au Geheimes Staatsarchiv Preussicher Kulturbesitz de Berlin. La traduction de Bretkūnas a cependant été utilisée par les traducteurs ultérieurs de la Bible.

Toute la Bible a été traduite également par un boursier des protestants, Samuelis Boguslavas Chylinskis, entre 1657 et 1659, mais elle n’a pas été publiée pour cause de manque de fonds.

La première édition de la traduction intégrale de la Bible a paru en 1735 à Karaliaučius (Königsberg), éditée par la commission des prêtres protestants. On l’appelle la traduction de Jonas Jokūbas Kvantas (d‘après le nom de celui qui a dirigé les traducteurs et éditeurs). Les publications ultérieures de cette traduction ont été souvent corrigées (1755, 1816, 1858…, jusqu’en 1949).

 

1.2. La pratique de la traduction

Qui traduit ?

1.2.1. Qui sont les traducteurs (formation, langue maternelle, statut social, quelles sont leurs conditions de travail ? Sont-ils reconnus en tant que traducteurs, s’agit-il de leur activité principale ? etc.) ?

Jusqu’à la fin du XXe siècle, les traductions ont été faites par la plupart des prêtres protestants et catholiques. Leur langue maternelle était le lituanien. Ces prêtres traducteurs ont été motivés par leur mission religieuse. Voici quelques traducteurs importants de la Bible :

Traducteur de la Bible (prénom, nom, dates)

Date; texte

Baltramiejus VILENTAS (Wilent; 1525-1587), prêtre protestant à Karaliaučius, Prusse Orientale (Petite Lituanie)

1579 : Évangiles

Jonas BRETKŪNAS (1536-1602), prêtre protestant à Karaliaučius

1579-1590 : Bible

Merkelis PETKEVIČIUS (1550-1608), éditeur à Vilnius

1598 : extraits de la Bible

Mikalojus DAUKŠA (~1527-1613), prêtre catholique en Grande Lituanie

1595 : extraits du Nouveau Testament dans son livre Postilė (Postilla Catholicka, premier livre lituanien de Grande Lituanie)

Jokūbas MORKŪNAS (1550-1611), éditeur à Vilnius

1600 : extraits des Évangiles dans son livre Postilla lietuviška

Konstantinas SIRDVYDAS (~1578-1631), prêtre catholique et enseignant de théologie à l’Université de Vilnius

1629 : extraits du Nouveau Testament dans son livre des sermons Punktai sakymų

Jonas JAKNAVIČIUS (1589-1668), prêtre catholique et enseignant à Vilnius

1647 : Évangiles ; XVIIe-XIXe siècles, plus de 40 éditions

Saliamonas SLAVOČINSKIS (~1620 - ~1660), prêtre catholique

1646 : psaumes dans son livre „Giesmynas

Jonas BOŽYMOVSKIS (Borzymowski, 1610-1675)

extraits du Nouveau Testament

Samuelis Boguslavas CHYLINSKIS (~1634-1668), étudiant à Oxford

1657-1659 : Bible ; publication à Londres arrêtée

Samuelis BITNERIS (~1632-1710), prêtre protestant

1701 : traducteur de grande partie du Nouveau Testament

Pilypas RUIGYS (1675-1749), prêtre protestant

1727 : Nouveau Testament

Jonas Jokūbas KVANTAS (1686-1772), prêtre protestant

1735 : Bible (avec un groupe de prêtres traducteurs : Jonas Berentas, Petras G. Milkus, Adomas Šimelpenigis)

Juozapas A. GIEDRAITIS (1754 -1833), évêque catholique

1816 : Nouveau Testament

Motiejus VALANČIUS (1801-1875), évêque catholique

1869 et 1872 : Psaumes

Antanas BARANAUSKAS (1831-1902), évêque catholique

1901-1902 : traduction 3/5 de la Bible de la Vulgate (latin) et Wujek (polonais)

Juozapas SKVIRECKAS (1873-1959), évêque catholique

1906 : Nouveau Testament, 1911-1937 Bible de la Vulgate (latin)

Algirdas JURĖNAS (1919-2007), professeur

1961 et 1996 : Nouveau Testament et Psaume ; 2000 : Bible

Antanas DAMBRAUSKAS (1911-1995), traducteur

~1970 extraits de la Bible

Česlovas KAVALIAUSKAS (1923-1997), prêtre catholique

1972, 1988 : NT iš graikų k.; Istorinių knygų vertimas liturginiams katalikų skaitiniams

Antanas LIESIS (1912-1991), prêtre

1973 : Psaumes et des extraits de la Bible

Ladas TULABA (1912-2002), prêtre catholique

1979 : Nouveau Testament

Kostas BURBULYS (1903-2001), prêtre

1979-1982 : Bible

Alfredas VĖLIUS (1918-2009), prêtre

1988 : Bible

Antanas RUBŠYS (1923-2002), prêtre catholique

1990-1995 : Ancien Testament

Dominykas VALENTIS (1946), prêtre catholique

1997 : Psaumes

Sigitas GEDA (1943-2008), poète

1997 : Psaumes

Que traduit-on ?

1.2.2. Quels types de textes religieux traduit-on ?

On traduit des textes liturgiques, des psaumes, des extraits de la Bible ou des Évangiles.

1.2.3. Traduit-on à la même époque des textes profanes ?

On ne dispose pas de beaucoup de documents prouvant la traduction de livres de littérature profane jusqu’au XIXe siècle. Le poète Dionizas Poška (1765-1830) a traduit de la poésie polonaise.

Comment traduit-on ?

1.2.4. À partir de quel texte-source ?

La Bible (Ancien Testament, Nouveau Testament), les Évangiles, des textes de doctrines de l’Église catholique, des textes de catéchisme.

1.2.5. De quelle(s) langue(s) traduit-on ?

Les premières traductions ont été faites à partir du latin, de l’allemand et du polonais.

1.2.6. Passe-t-on par une langue relais ?

Il y a des traductions qui étaient faites directement du latin et du grec. La langue relais était souvent le polonais.

1.2.7. Si oui, celle-ci est-elle orale ou écrite ?

Écrite.

1.2.8. Les traducteurs privilégient-ils un mode de traduire littéral pour les textes religieux ?

1.2.9. Comment justifient-ils leur pratique ?

Ils privilégient la traduction et l’interprétation du sens. Les traducteurs en lituanien avaient pour objectif de rendre leurs textes compréhensibles à un large public. Algirdas Jurėnas a traduit littéralement la Bible en 2000.

1.2.10. Si on traduit aussi des textes profanes à la même époque, a-t-on le même mode de traduire ?

On ne traduisait pas de textes profanes à la même époque, jusqu’au XIXe siècle.

 

1.3. Le rôle culturel de la traduction

La traduction et la langue

1.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (existe-t-il une norme unique pour cette langue ? Coexistence éventuelle avec d’autres langues ? )

Le statut du lituanien à l’époque, jusqu’à la parution du premier livre lituanien en 1547, était celui d’une langue orale. Il existait des traductions dans plusieurs dialectes lituaniens. La première grammaire du lituanien, en 1901 par le linguiste Jonas Jablonskis, ne statue pas sur les normes de la langue lituanienne standard.

1.3.2. Quel est le rôle de ces traductions dans le développement de la langue littéraire ?

Le rôle de ces traductions dans le développement de la langue lituanienne est important car ce sont les premiers textes en langue lituanienne. Ces traductions ont servi de référence pour les traductions et pour les lettres originales ultérieures. Les traductions ont développé la langue lituanienne écrite et le style littéraire. Le premier abécédaire lituanien, dans le livre du traducteur Martynas Mažvydas (1547), utilise l’alphabet latin. En l’abscence d’écoles lituaniennes et de manuels scolaires en lituanien jusqu'à la première moitié du XIXe siècle, les livres religieux traduits en lituanien (catéchisme, recueils de prières et psautiers) étaient souvent utilisés pour l’apprentissage de la lecture en lituanien.

La plupart des livres publiés en Lituanie jusqu’à la fin du XIXe siècle étaient des livres religieux. Ainsi, pendant longtemps, la plupart des auteurs de littérature lituanienne étaient des prêtres. La première grande œuvre littéraire, le poème Les saisons, est écrite en 1760-1770 (édité en 1818) par le pasteur protestant Kristijonas Donelaitis. Les paysans chrétiens sont les héros de ce poème épique en hexamètres classiques.

La constitution de l’État lituanien remonte à la première moitié du XIIIe siècle, mais les premières publications en lituanien n’apparaissent qu’au milieu du XVIe siècle. Ceci est dû à l’introduction tardive du christianisme (après plusieurs tentatives, depuis 1387), aux attaques de l’Ordre Teutonique au XIIIe siècle, jusqu'à la bataille décisive de Žalgiris (Grunewald) de 1410, la création d’un Grand-Duché de Lituanie mixte du point de vue linguistique, l’union du Grand-Duché de Lituanie avec le royaume de Pologne en 1569. Les langues des écrits officiels lituaniens ont longtemps été le vieux slave, le ruthène, le latin et l’allemand. Les traductions en lituanien favorisent l’essor de la littérature lituanienne et forment des lecteurs de littérature originale. Le lituanien était longtemps la langue des paysans et des petits bourgeois. La noblesse préférait parler polonais, depuis l’union avec la Pologne jusqu'à la fin du XIXe siècle.

Lorsque la Lituanie fut incorporée à la Russie, à la fin du XIXe siècle (la déclaration d’indépendance de la Lituanie eut lieu en 1918, après l’invasion des Allemands en 1915), les traductions des textes sacrés ont aidé la résistance culturelle. Les autorités tsaristes ont même interdit l’usage de l’alphabet latin pour l’impression des textes lituaniens entre 1864 et 1904. Leur intention était de détourner les Lituaniens de l’influence de la culture polonaise. L’alphabet cyrillique fut appliqué au lituanien. La résistance à l’usage officiel du cyrillique se faisait aussi par les traductions des livres en lituanien.

1.3.3. Quelles sont les grandes phases de retraduction des textes religieux en fonction de l’évolution de la langue ?

1547 : premières traductions en lituanien.

XVIIe siècle : traductions suivies d’abécédaires explicatifs.

1590 : Bible de Jonas Bretkūnas.

1735 : parution de la Bible en version intégrale.

De 1864 à 1904 : interdiction de l’usage de l’alphabet latin, Bible clandestine en lituanien.

Fin du XXe siècle : publication de plusieurs traductions de la Bible en version intégrale.

La traduction et la société

1.3.4. Qui sont les commanditaires ? Les destinataires ?

Pour les traductions des XVIe et XVIIIe siècles, il y avait souvent des commanditaires (voir les dédicaces faites par les traducteurs). C’était tout d’abord les ducs de la partie prussienne ou du Grand-Duché de Lituanie. C’était aussi les groupes des prêtres ou des évêques.

Pour ce qui est des destinataires, ce sont les croyants lituaniens pour lesquels les prêtres/traducteurs souhaitent rendre les textes liturgiques et les messes compréhensibles.

1.3.5. Diffusion des traductions (mode de reproduction, ampleur de la diffusion) ?

La première traduction de Martynas Mažvydas a été diffusée par une édition de Karaliaučius (Königsberg) en 1547 en 200 à 300 exemplaires.

1.3.6. Réception critique éventuelle, débats suscités par les traductions ?

Jusqu’au XXe siècle ces traductions et les publications des textes religieux n’ont pas suscité de grands débats.

1.3.7. Des retraductions interviennent-elles pour des raisons idéologiques et/ou religieuses ?

Les retraductions des textes religieux sont dues tout d’abord à des raisons linguistiques car la langue se développe sans cesse.