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Auteur : Jean Kudela

 

2.1. Cadre général introductif

2.1.1. À quelle époque se constitue une littérature profane dans votre langue ?

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle

2.1.2. Peut-on distinguer plusieurs grandes périodes entre l'apparition d'une littérature profane et la quête de modernité incarnée par les avant-gardes littéraires ?

Non, on passe de la traduction des psaumes (1703, Psaumes de Michał FRENCEL et Michał RACA) et cantiques (1710 premiers spěwarske en haut-sorabe de Jan AST, Jurij MATEJ et Jan WAWER) à celle de poèmes à caractère religieux, (en 1806 Jan DEJKA publie la traduction sorabe d’un prêche fait en russe par un pope sur le terrain à la veille de la bataille d’Austerlitz), puis à caractère philosophique (en 1823 le prêtre catholique Bosćan Tecelin MĚT publie une traduction sorabe du texte latin de Thomas a Kempis L’Imitation de Jésus-Christ) et, enfin, franchement littéraire (Jurij MJEŃ voir 2.2.3.) Il faudra attendre la fin du XIXe siècle et le poète symboliste Jakub BART-ĆIŠINSKI pour pouvoir parler d’avant-garde littéraire

2.1.3. Peut-on mettre en relation cette évolution de la littérature avec certains facteurs culturels, sociaux, économiques ou politiques (par ex. développement ou laïcisation de l’enseignement secondaire et/ou supérieur ? changements dans la structure sociale ? développement de contacts culturels avec l’étranger ? existence d’une diaspora ? création d’un État-nation ? facteurs religieux ? etc.)

Les quatre éléments déterminants sont :

—  le Piétisme allemand qui apparaît dès la fin du XVIIe siècle avec Jacob Philipp SPENER, né à Ribeauvillé en 1635, qui étudie la théologie à Strasbourg, puis à Bâle et à Genève, sera prédicateur à Strasbourg puis à Francfort sur le Main, avant d’être nommé en 1686 à la Cour de Dresde et enfin Conseiller consistorial et pasteur en titre de la Nikolaikirche à Berlin, où il prêchera de 1691 jusqu’à sa mort en 1705. SPENER, adepte d’une pratique naturelle de la religion, s’avisera que le bon peuple des Sorabes ne disposait pas de traduction des Saintes Écritures et devait pouvoir être édifié et chanter la gloire de Dieu dans sa langue. Il interviendra auprès du bailli de Haute-Lusace, Nikola von GERSDORF, par l’intermédiaire de sa femme Henrietta Catharina von GERSDORF, dont il était le confident, pour que les États de Lusace autorisent la publication de la traduction du Nouveau Testament de Michał FRENCEL. Cette traduction, terminée en 1670 ne sera finalement publiée qu’en 1706, car FRENCEL avait adopté une orthographe utilisant les signes diacritiques de Jan HUS ; or, les États de Lusace exigeaient, et obtinrent finalement, que le texte soit publié en caractères gothiques. Un autre théologien allemand August Hermann FRANCKE, influencé par la prédication de SPENER, avait fait de l’Université de Halle à partir de 1694 un centre de rayonnement piétiste ; il avait fondé un  Collegium orientale tourné vers les études slaves et créé un internat pour orphelins et enfants pauvres, où seront instruits les jeunes Sorabes.

—  le Collège des Prédicateurs Wendes fondé en 1716 à Leipzig par un groupe d’étudiants sorabes en théologie de l’Université. C’est là que sera formée toute une génération de pasteurs qui vont traduire en sorabe psaumes et cantiques luthériens et, entrainés par la religiosité piétiste, certaines œuvres poétiques ou pédagogiques des auteurs allemands. Ainsi Jan WENCEL en 1766 à l’occasion du 50e anniversaire de la création du Collège des Prédicateurs Wendes : il traduit une œuvre de GELLERT Les enseignements particuliers prodigués par le père à son fils quand il part pour l’université, traduction qui ne sera d’ailleurs pas publiée. En 1749 fut fondé à Wittenberg un second Collège sous le nom de Société des Prédicateurs Wendes.

— la création à Görlitz en 1779 de la Société Savante de Haute-Lusace, au sein de laquelle se retrouvent des intellectuels allemands et sorabes marqués par l’Aufklärung et ouverts aux cultures slaves. Parmi eux le Secrétaire de la Société, l’Allemand Karl Gottlob von ANTON, qui correspond avec le Tchèque DOBROVSKÝ, et le Sorabe Jan HÓRČANSKI, qui traduit en sorabe un fragment de l’Essay on Man de Pope pour illustrer les possibilités de la langue sorabe.

 

2.2. La pratique de la traduction

Qui traduit ?

2.2.1. Qui sont les traducteurs (origine sociale, formation, langue maternelle, statut social, conditions de travail et de rémunération ? sont-ils reconnus en tant que traducteurs, s’agit-il de leur activité principale ? etc.) ?

Ce sont des pasteurs très majoritairement d’origine modeste, qui ont étudié à Leipzig ou à Wittenberg et exercent leur ministère dans les villages de Lusace. Nous dirons que découlant au départ de leur activité professionnelle, la traduction suscita chez certains la vocation et la verve littéraire.

Que traduit-on ?

2.2.2. Quels genres de textes traduit-on ?

Au départ des cantiques et des psaumes, des textes d’édification religieuse, puis des textes à dimension philosophique ou pédagogique, voire politique (Dźakowny spěw poswjećeny třom dobyćerskim mócnarjam / Chant de grâces dédié aux trois vainqueurs de Michał HILBJENC pour célébrer la Paix de Vienne en 1815), des développements littéraires à partir de textes religieux, puis des textes littéraires proprement dits.

2.2.3. Citez quelques textes emblématiques traduits à cette époque (s’il y en a), titres et dates.

La référence est le premier texte littéraire original de la littérature sorabe : L’Ode à la langue sorabe de Jurij MJEŃ, rédigée en hexamètres en 1767, mais publiée seulement après la mort de l’auteur par son fils Rudolf en 1806. Une traduction partielle du Messie de Friedrich Gottlieb KLOPSTOCK, dont le texte s’est inspiré, est jointe en bilingue à l’édition pour illustrer les capacités littéraires de la langue sorabe.

Mais il peut se faire que des traductions se fassent à partir de textes d’auteurs sorabes en direction d’autres langues. L’exemple le plus connu est le naturaliste et apiculteur Hadam Bohuchwał ŠĚRACH, dont trois ouvrages sur l’apiculture rédigés en allemand entre 1769 et 1774 furent traduits en russe, en italien et en français ; un autre de ses ouvrages, Melitto-Theologia 1767, était déjà un essai littéraire et philosophique qui eut une postérité directe avec La Vie des abeilles de Maurice MAETERLINCK. Un autre exemple célèbre se fit à partir du sorabe vers l’allemand et concerne l’ethnographie : Leopold HAUPT, Secrétaire de la Société savante de Haute-Lusace, œuvra dans les années 1836-1837 à la création d’une bourse  destinée à permettre le collectage des chants populaires sorabes. L’étudiant Jan Arnošt  SMOLER, qui devait devenir rédacteur de presse, éditeur, imprimeur et le grand passeur de cultures du XIXe siècle, travailla deux ans sur le terrain et publia en 1841 et 1843 Pjesnički hornych a delnych Łužiskich Serbow (Chants des Sorabes de Haute et Basse-Lusace) ; tous les textes sorabes des chansons étaient assortis d’une traduction allemande.

À partir des années 1820-1830  va jouer un autre phénomène qui suscitera jusqu’à la fin du siècle des traductions sorabes à partir d’autres langues slaves : les contacts interslaves dans diverses universités allemandes (Breslau, Berlin, Leipzig) et au Séminaire Lusacien de Prague, où se forment les futurs curés sorabes. Le même Jan Arnošt SMOLER traduit Ohlasy ruských písní (Échos des chansons russes > Wothłos pěsni ruskich) de František Ladislav ČELAKOVSKÝ en 1846,  Rukopis Královédvorský (le Manuscrit de Dvůr Kralové >  Kralodworski rukopis) de Václav HANKA en 1852, quatre ouvrages sur l’Histoire slave de Aleksandr Fjodorovič HILFERDING entre 1856 et 1862, et Stawizny łužiskoserbskeje literatury (L’Histoire de la littérature sorabe de  Lusace) de PYPIN et SPASOVIČ en 1881. Le chanoine homme de culture et rédacteur de plusieurs revues Michał HÓRNIK traduira la poésie, du russe (les Odes de DERŽAVIN et les Fables de KRYLOV), du serbo-croate (Vuk KARADŹIĆ), du tchèque, du polonais, mais il va surtout traduire et compléter Rys dziejów serbskołużyckich (Esquisse d’histoire des Serbes de Lusace) de Wylem BOGUSŁAWSKI  sous le titre Historia serbskeho naroda (Histoire de la nation sorabe) en 1884, et cela dans une langue particulièrement soignée et élégante.

Parallèlement, on va aussi traduire du sorabe et d’autres langues slaves vers l’allemand pour populariser la culture et la littérature slave en direction du public allemand. Après avoir fait vivre pendant deux ans un hebdomadaire sorabe, qui disparaîtra pour des raisons économiques et graphiques, Jan Pětr JORDAN édite à Leipzig de 1843 à 1848 les Jahrbücher für slawische Literatur, Kunst und Wissenschaft (Annales de littérature, art et sciences slaves), que SMOLER continuera à rédiger seul, puis les Slavische Centralblätter à Prague à partir de 1848, publiant dans ses revues LELEWEL, B’ELINSKIJ, PALACKÝ. Et Korla Awgust KŁOSOPÓLSKI publie en 1844  Slawische Altertümer,  traduction des Slovanské starožitnosti de Pavol Jozef  ŠAFÁRIK.

Comment traduit-on ?

Avec fidélité et respect du texte, mais en s’efforçant d’utiliser les ressources du sorabe et en utilisant à l’occasion la métrique classique.

2.2.4. Quel est, selon l’échelle ci-dessous, le degré d’adaptation des textes étrangers utilisés comme sources à cette époque ? Comment ce degré d’adaptation évolue-t-il avec le temps ?

a. Traduction respectueuse du texte d’origine, présentée comme une traduction et indiquant le nom de l’auteur, le nom du traducteur et la langue d’origine.

b. Traduction prenant des libertés avec le texte d’origine (par ex. traduction partielle, modification des noms propres, ou de certains éléments de l’intrigue ou du cadre spatio-temporel de celle-ci), mais présentée comme une traduction et mentionnant le nom de l’auteur.

c. Traduction ou adaptation présentée comme une traduction mais ne mentionnant pas le nom de l’auteur d’origine

d. Textes étrangers traduits ou adaptés mais présentés comme des œuvres originales :

C’est ce que fera le plus important poète romantique sorabe, Handrij ZEJLER, traduisant surtout de l’allemand, mais aussi du russe ou du serbo-croate : ce sont des psaumes, bien sûr, car il est pasteur, mais aussi des chansons populaires ou des poèmes, dont certains sont de GOETHE (Heidenröslein devient Róžička na holi / 1852), SCHILLER, (An die Freude > Na radosć) RÜCKERT, UHLAND ou HOFFMANN VON FALLERSLEBEN. Ces poètes allemands fertiliseront son inspiration et ZEJLER écrira des versions sorabisées de poèmes célèbres, comme par exemple Moje wjesela (Ce qui fait ma joie / 1863) qui sera bientôt chanté sur une mélodie russe et qui est adapté du chant de Mignon dans Wilhelm Meisters Lehrjahre (Les années d’apprentissage de W.M. de GOETHE). Il adaptera aussi, dès 1831, la Marche de Dąbrowski, futur hymne polonais, sous le titre ultérieur de Serbow narodny spěw (Chant national des Sorabes).

2.2.5.  Le degré d’adaptation varie-il en fonction des langues traduites et des types de textes ?

Oui, lorsqu’il s’agit de poésie ; on a alors recours aux ressources propres du sorabe.

2.2.6. De quelle(s) langue(s) traduit-on ? Pouvez-vous évaluer la part respective des différentes langues dans l’ensemble des traductions ?

On traduit essentiellement de l’allemand, car la littérature sorabe a pour souci de se dégager et de se démarquer de la littérature allemande qui constitue en quelque sorte une base de départ. C’est la prise de conscience identitaire qui détermine et accompagne ce mouvement. Mais on traduit aussi des autres langues slaves, surtout du tchèque, du russe, du polonais, du serbo-croate, et là, la motivation est toute autre : il s’agit au contraire de soutenir et enrichir son identité slave.

2.2.7. Traduit-on directement ou via des langues-relais ?

En général, on traduit directement.

2.2.8. Trouve-t-on des réflexions et/ou des débats sur la traduction ? Sur quoi portent-ils ?

Les débats ne portent pas sur la traduction chez des gens qui sont bilingues sorabe-allemand, mais sur la langue qu’il convient de privilégier dans la vie culturelle et l’enseignement. Ainsi le poète ZEJLER proposant à ses auditeurs quatre sujets de réflexion lors d’une réunion pédagogique en 1850 :

« 1. Cher maître, sais-tu assez de wende pour pouvoir faire de l’allemand quelque chose d’utile à notre peuple et t’entends-tu à bien le traduire ?

2. T’es-tu donné la peine d’apprendre le wende à fond ? Comme c’est pourtant facile et juste !

3. N’est-ce là qu’un pur zèle sacré consistant par l’enseignement de l’allemand à aider le peuple wende et à hausser son niveau — ou bien es-tu poussé par d’autres motivations ? Car il y en a pas mal d’autres !

4. Que gagneront nos Wendes à être germanisés ? Ils pourraient bien sûr devenir plus raffinés, mais certainement pas meilleurs sur le plan moral — c’est bien ce que montre l’expérience.

Notre caractère national et nos mœurs qui sont bons se gâtent dans la mesure où nous nous germanisons ; y aurait-il donc quelque part une paroisse où l’on n’apprendrait que les vertus allemandes sans les vices et les déshonneurs, et qui n’ajouterait point aux vices nationaux ceux des étrangers ?

………

Enseignez donc toujours l’allemand — mais que notre nationalité soit bien maintenue avec sa langue au même niveau ; et n’oubliez jamais de donner à entendre que nous nous estimons nous-mêmes et savons facilement nous honorer. »

2.2.9. Certains traducteurs écrivent-ils des préfaces explicitant leur pratique ainsi que le choix des textes qu’ils traduisent ?

C’est le cas de J. MJEŃ qui écrit dans la préface allemande à son Ode à la langue sorabe (1706): « Comme on accuse toujours la langue wende d’être pauvre, terre à terre et raide, j’ai voulu en quelque sorte la laver de ces reproches et montrer ses capacités et sa souplesse. Mais pour ne pas avoir l’air de seulement dire ce que je voulais, il fallait que ma preuve soit une traduction…

Comme on juge généralement que le Messias de Klopstock est l’œuvre poétique la plus noble et la plus majestueuse que nous ayons en ce temps, nous Allemands, j’ai cru devoir justement  prendre celle-là. S’il est vrai que le poème de Klopstock égale Homère en perfection poétique, c’est-à-dire le poète le plus remarquable, ainsi que de nombreux spécialistes l’affirment, et s’il est vrai que dans ma traduction j’ai rendu le sens de l’original en employant des mots purement wendes, en restant fidèle à la même métrique et en servant le sujet et l’émotion de juste manière, comme certains connaisseurs de la langue en ont jugé très favorablement, il serait vrai également que cette langue n’est pas pauvre et raide, comme beaucoup l’accusent de l’être, et qu’elle permet de s’exprimer avec beauté et noblesse, et que j’aurais réussi mon dessein qui était de le montrer. J’affirme enfin que jusqu’à ce jour personne — pas même moi — ne connaît vraiment la véritable valeur et la véritable richesse de cette langue. »

 

2.3. Le rôle culturel de la traduction

La traduction et la langue

2.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (existe-t-il une norme unique pour cette langue ? coexistence éventuelle avec d’autres langues ?)

Le sorabe écrit n’a au début du XIXe siècle ni statut ni norme, même si l’on peut distinguer aux XVIIe et XVIIIe siècles deux versions imprimées de la langue sorabe : celle des Protestants, qui utilise la « Schwabacher Schrift », c’est-à-dire les caractères gothiques, et celle des Catholiques, utilisant les caractères latins assortis de signes diacritiques. De toute manière, la langue écrite est le fait d’une petite élite cultivée de pasteurs et de curés, chez qui se développe le sentiment national ; la langue de communication scientifique va rester encore longtemps l’allemand.

2.3.2. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement de la langue littéraire ?

Incontestablement, en parallèle avec le développement de la prise de conscience nationale, comme il ressort de la préface de MJEŃ.

La traduction et la littérature

2.3.3. La littérature profane est-elle d’abord originale, traduite/adaptée, ou les deux à la fois ?

La littérature profane est d’abord traduite, puis adaptée

— d’abord traduite : c’est le cas de Jurij MJEŃ, qui accompagne une œuvre originale  Sserskeje Recże Samożenje a Kwalbu we recżerskim  Kyrlischu (Richesse de la langue sorabe et son éloge célébrés dans une ode) connu sous l’abréviation de Ryćerski kěrluš (litt. : « cantique de la langue » c’est-à-dire : Ode à la langue sorabe) d’une traduction partielle du Messias de KLOPSTOCK.

— puis de plus en plus adaptée : c’est le cas chez ZEJLER, qui part de traductions de poèmes de Goethe (Heidenröslein) ou de Schiller (An die Freude) qu’il joint à ses propres œuvres sans indiquer les auteurs pour adapter librement sur des thèmes sorabes d’autres poèmes (Mignons Lied devenant Moje wjesela / Ce qui fait ma joie). On passe à des œuvres qui s’éloignent de plus en plus de leur modèle pour constituer des créations en fait originales

2.3.4. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement des formes, des genres et des courants littéraires ?

Oui, bien sûr. Les traductions sont finalement autant d’essais littéraires préfigurant une littérature nationale, tant pour les sujets traités que pour les styles.

La traduction et la société

2.3.5. Quelle est la finalité principale des traductions ou adaptations (didactique ? politique ? esthétique ?)

D’abord didactique, bientôt politique (cf.  les déclarations de ZEJLER  supra) et nécessairement esthétique par le souci de traduire fidèlement.

2.3.6. Quels sont les supports de publication et les modes de diffusion des traductions ? Y a-t-il des différences à cet égard avec la littérature originale ?

En premier lieu les périodiques et revues : l’hebdomadaire Tydźenska Nowina fondé en 1842, devenu Serbske Nowiny en 1854, la revue de la Maćica serbska : Časopis Towarstwa Maćicy Serbskeje, qui commence sa publication en 1848 (deux cahiers par an), le mensuel Łužičan, qui paraît de 1860 à 1881, Łužica à partir de 1882. Ces périodiques publient textes originaux et traductions dans les mêmes emplacements.

2.3.7. Quel est le public des traductions ? Est-il différent du public de la littérature originale ?

Non, c’est une petite intelligentsia qui s’est constituée et s’élargit peu à peu tout au long du XIXe siècle et lit en allemand et en sorabe, mais aussi dans d’autres langues slaves.

2.3.8. Réception critique des traductions ?

L’accueil est favorable, car toute nouvelle traduction est une pierre apportée à l’édifice national en construction et appréciée comme telle.

2.3.9. Qui prend en général l’initiative des traductions (traducteurs ? éditeurs ? libraires ? mécènes ? pouvoir politique  ou religieux ?)

Les choses ont beaucoup évolué entre le XVIIIe et le XXe siècle : au départ de mécènes avec intervention du pouvoir politique, puis les traducteurs eux-mêmes souvent éditeurs.

2.3.10. Existe-t-il une censure visant spécifiquement des traductions ?

Non, la censure vise tous les textes publiés en sorabe. Le terme de censure est d’ailleurs peu approprié, car le problème se pose en termes d’autorisation ou d’interdiction de publier en sorabe. Un exemple caractéristique est celui des États de Lusace n’autorisant finalement la publication de la version sorabe du Nouveau Testament de Michał FRENCEL qu’à la condition d’utiliser la Schwabacher Schrift. Mais il y avait pire, c’était l’interdiction périodique de la publication de livres en sorabe, traductions ou non. Les intentions politiques sont évidentes ; elles sont en relation

— soit avec des révoltes paysannes sorabes qui suscitèrent la peur des autorités allemandes et entraînèrent la répression et des mesures dirigées contre l’usage de la langue en public, à l’église comme à l’école. Ainsi le Rescrit de 1667, par lequel le  Prince-Électeur de Brandebourg ordonne de détruire tous les livres  en sorabe.

— soit une politique de germanisation systématique, comme celle entreprise par le Roi de Prusse Frédéric Ier / cf. ; l’ordre intimé au Consistoire de Küstrin en 1717 de tout faire pour éliminer le  sorabe, y compris la littérature pieuse.

2.3.11. Les modalités d’exercice de la traduction sont-elles influencées par les identités nationales, sociales, etc. (choix des textes, mode de traduire, langue de la traduction) ?

Pour les Sorabes, oui ; les traductions sont éditées par les Sorabes eux-mêmes qui développent progressivement une presse identitaire. La majorité des traducteurs restant longtemps des prêtres, le souci d’édification privilégie une langue proche de celle de la prédication, qui en se laïcisant  passe dès l’époque romantique à un style patriotique.

2.3.12. Des traductions  ont-elles joué un rôle dans l'évolution des idées et de la société ?

Oui, essentiellement les traductions de SMOLER, qui ont fait connaître les littératures des pays slaves et  celle  de HÓRNIK, qui a constitué la première histoire moderne du peuple sorabe.