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Auteur : Antoine Chalvin

 

2.1. Cadre général introductif

2.1.1. À quelle époque se constitue une littérature profane dans votre langue ?

À partir du deuxième tiers du XVIIe siècle, l’estonien est utilisé de façon occasionnelle pour composer des textes poétiques profanes (poèmes de circonstance à l’usage interne des milieux germano-baltes). Dans le deuxième tiers du XVIIIe siècle commencent à paraître des récits édifiants, généralement adaptés de textes allemands. Mais c’est seulement vers le milieu du XIXe siècle qu’une littérature plus abondante et variée se constitue. S’il faut donner une date précise, l’année charnière (symbolique) pourrait être 1839, date de la naissance du projet d’épopée nationale.

2.1.2. Peut-on distinguer plusieurs grandes périodes entre l'apparition d'une littérature profane et la quête de modernité incarnée par les avant-gardes littéraires ?

On peut proposer la périodisation suivante :

1839-1860 : phase de formation de la littérature profane, qui culmine avec la parution de l’épopée nationale Kalevipoeg (1857-1860).

1860-1893 : la littérature au service de la construction nationale ; influence du romantisme, notamment en poésie et dans des récits historiques.

1893-1905 : le premier réalisme estonien.

2.1.3. Peut-on mettre en relation cette évolution de la littérature avec certains facteurs culturels, sociaux, économiques ou politiques (par ex. développement ou laïcisation de l’enseignement secondaire et/ou supérieur ? Changements dans la structure sociale ? Développement de contacts culturels avec l’étranger ? Existence d’une diaspora ? Création d’un État-nation ? Facteurs religieux ? etc.)

L’essor de la littérature est lié en partie à l’émancipation des paysans estoniens (abolition du servage en 1816 et 1819, liberté de circulation, abolition de la corvée en 1868, achat des terres par les paysans et émergence d’une paysannerie aisée). Cela améliore l’accès des paysans à l’instruction, permet l’apparition d’activités associatives et la formation d’une conscience nationale estonienne. Les intellectuels issus de la paysannerie cessent de se fondre dans la classe germanophone et, en élargissant les domaines d’usage de l’estonien écrit, en font progressivement une langue de culture. L’influence du romantisme joue également un rôle en valorisant aux yeux des élites germanophones la culture populaire et le folklore et en créant un mouvement favorable à l’amélioration de la situation des autochtones, alors que précédemment l’idée prévalait que les Estoniens étaient un peuple sans culture, appelé à se germaniser.

 

2.2. La pratique de la traduction

Qui traduit ?

2.2.1. Qui sont les traducteurs (origine sociale, formation, langue maternelle, statut social, conditions de travail et de rémunération ? Sont-ils reconnus en tant que traducteurs, s’agit-il de leur activité principale ? Etc.) ?

Alors que dans la période précédente, la plupart des traducteurs étaient des pasteurs de langue maternelle allemande, les traducteurs estoniens de souche deviennent progressivement majoritaires au cours du XIXe siècle.

Il n’est pas facile de répondre de façon scientifique à la question de l’origine sociale et de la formation. Il faudrait pour cela faire un recensement complet des traducteurs et trouver des éléments biographiques pour chacun. Je donne plus bas une petite liste (non exhaustive) d’auteurs de traductions ou d’adaptations publiées dans la période 1840-1880. Ce que l’on peut dire, c’est que les traducteurs de langue maternelle estonienne sont en grande majorité des hommes issus du milieu paysan, souvent des fils d'employés d'un ancien domaine seigneurial. Certains ont fait des études à l'université (généralement à Tartu), mais la plupart se sont arrêtés après leurs études secondaires. Ils exercent le plus souvent un métier « intellectuel » : pasteurs, instituteurs, journalistes, mais on trouve aussi parmi eux quelques artisans.

La seule femme traductrice-adaptatrice est Lydia Koidula, qui est surtout connue aujourd'hui comme la grande poétesse de l’époque du réveil national.

Quelques traducteurs des années 1840-1880

Bergmann, Jaan (1856-1916) Fils d’un fermier. Études de théologie à l’Université de Tartu. Pasteur. Traducteur de la Batrachomyomachie et de pièces de théâtre. Auteur d’une nouvelle traduction de la Bible, restée en majeure partie inédite.

Ederberg, Friedrich Wilhelm (1859-1939) Fils d’un intendant de domaine foncier; études de théologie à l’Université de Tartu. Pasteur. Traducteur de littérature russe (Pouchkine, Gogol, Tourgueniev, Tolstoï).

Eichhorn, Wilhelm Friedrich (1827-1896) Origines paysannes. Pas d’études supérieures. A travaillé comme arpenteur en Estonie du nord. A traduit de la poésie allemande (Schiller) et les contes d’Andersen (1877).

Ellerberg, Gustav (1830-?) Fils d’un charpentier. Pas d’études supérieures. Relieur. A traduit de l’allemand des récits policiers et une robinsonade.

Gildenmann, Berend (1822-1884) Fils d’un fermier. Pas d’études supérieures. Instituteur, puis relieur. A traduit de l’allemand des récits d’aventures sentimentaux.

Grant, Mats (1836-1885) Fils d’un fermier. Pas d’études supérieures. Instituteur. A traduit du letton des récits populaires (dont deux au moins étaient des adaptations de l’allemand).

Jannsen, Johann Voldemar (1819-1890) Fils d’un tavernier-meunier. Pas d’études supérieures. Instituteur, puis journaliste. A adapté de nombreux récits de l’allemand, ainsi que des paroles de chants profanes pour les chorales.

Jobso, Jakob (1830-1902) Fils d’un fermier. Pas d’études supérieures. Instituteur, puis photographe. A traduit quatre récits populaires de l’allemand.

Kirsel, Mats (1841-1907) Fils d’un fermier. Pas d’études supérieures. Instituteur. A traduit de l’allemand quatorze ouvrages de littérature populaire.

Kreutzwald, Friedrich Reinhold (1803-1882) Fils d’un cordonnier dans un domaine foncier. Études de médecine à l’Université de Tartu. Traducteur-adaptateur d’ouvrages de littérature populaire allemande et de poésie.

Martson, David (1846-1892) Né à Tallinn. Employé des postes, puis homme de lettres. A traduit de l’allemand ou du russe de nombreux récits de pirates et de brigands.

Petenberg, Johann (1830-1858) Né à Tallinn. Pas d’études supérieures. Employé dans une imprimerie. A adapté Les aventures du baron de Münchhausen.

Rosenbach, Karl (1839-1883) Fils de fermier. Charpentier dans une fabrique de miroirs. A traduit de l’allemand cinq récits populaires moralisants.

Wilberg, Franz-Heinrich (1814-1866) Fils d’un charpentier germanophone. Pas d’études supérieures. Peintre en bâtiment, puis instituteur. A traduit des récits populaires de l’allemand.

Contrairement à leurs homologues des siècles précédents, les traducteurs peuvent désormais utiliser des dictionnaires. Le premier lexique suffisamment fourni pour constituer un outil de travail est le lexique allemand-estonien publié en annexe à la grammaire estonienne de A. W. Hupel (1780, réédition en 1818). Il est complété par des listes de mots publiées dans la revue Beiträge zur genauern Kenntniß der ehstnischen Sprache (1813-1832).

Les traducteurs commencent à recevoir de véritables rémunérations, alors que précédemment leur travail était compensé par des exemplaires gratuits de l’ouvrage (Liivaku & Meriste 1975).

Que traduit-on ?

2.2.2. Quels genres de textes traduit-on ?

La littérature religieuse représente encore, dans la première moitié du siècle, la majeure partie de la production imprimée (53,5 %), mais devient minoritaire dans la deuxième moitié (27,8 %) (Antik 1935, pp. 55, 58). On peut supposer que ces proportions sont valables aussi pour la littérature traduite, qui représente tout au long de la période un volume beaucoup plus abondant que la production originale en estonien.

Les textes traduits sont en grande majorité des œuvres de la littérature populaire en langue allemande : récits édifiants, sentimentaux, d’aventures, policiers. Cette littérature est jugée par les traducteurs ou les éditeurs plus adaptée au public estonophone, dont le niveau moyen d’instruction et les exigences esthétiques restent modestes. La prépondérance de l’allemand est bien entendu liée à l’accessibilité des ouvrages originaux (il n’était pas facile de se procurer en Estonie des ouvrages écrits en d’autres langues) et au fait que la connaissance des autres langues était moins répandue parmi les traducteurs.

Dans les traductions d’autres langues que l’allemand, la littérature populaire occupe une place plus réduite : le choix des traducteurs se porte plus souvent sur des œuvres de valeur.

2.2.3. Citez quelques textes emblématiques traduits à cette époque (s’il y en a), titres et dates.

Goethe, Reinecke Fuchs (1850) [sans nom d’auteur, traduction de F. R. Kreutzwald]

Gottfried August Bürger, Les Aventures du baron de Münchhausen (1855) [le nom de l’auteur n’est pas indiqué dans l’ouvrage]

Oswald Gotthard Marbach, Schildbürger (1857) [sans nom d’auteur ni de traducteur]

Goethe, Hermann und Dorothea, traduit en vers (1880) par Andreas Kurrikoff.

Pouchkine, Doubrovsky (1880)

Gogol, Tarass Boulba (1880)

Goethe, Reinecke Fuchs (1892) [sans nom d’auteur, traduction de Eduard Bornhöhe]

Le Kalevala (1891-1898)

Fables de Krylov (1897)

Contes d’Andersen (1898)

Tolstoï, Guerre et paix (1898)

Dumas, Le comte de Monte-Cristo (1899)

Zola, La débâcle (1899)

Comment traduit-on ?

2.2.4. Quel est, selon l’échelle ci-dessous, le degré d’adaptation des textes étrangers utilisés comme sources à cette époque ? Comment ce degré d’adaptation évolue-t-il avec le temps ?

a. Traduction respectueuse du texte d’origine, présentée comme une traduction et indiquant le nom de l’auteur, le nom du traducteur et la langue d’origine.

b. Traduction prenant des libertés avec le texte d’origine (par ex. traduction partielle, modification des noms propres, ou de certains éléments de l’intrigue ou du cadre spatio-temporel de celle-ci), mais présentée comme une traduction et mentionnant le nom de l’auteur.

c. Traduction ou adaptation présentée comme une traduction mais ne mentionnant pas le nom de l’auteur d’origine.

d. Textes étrangers traduits ou adaptés mais présentés comme des œuvres originales.

La plupart des traductions de cette époque (au moins jusqu’aux années 1880) relèvent de la traduction-adaptation, et même, pour certaines, de ce que l’on pourrait appeler la traduction-appropriation (catégorie d). Le nom de l’auteur de l’œuvre d’origine est rarement mentionné ; le traducteur soit reste anonyme soit présente les textes comme sa propre création. Friedrich Reinhold Kreutzwald, dans son premier recueil de poèmes, Angervaksad (1861), publié sous le pseudonyme de Viru laulik (le barde de Viru), signale dans la préface que ces poèmes sont des traductions de Goethe et de Schiller, mais le nom des auteurs n’est pas indiqué sur les pages des poèmes. Dans son recueil suivant, Wiru lauliku laulud (1865), publié sous son nom, les poèmes traduits ou adaptés d’auteurs allemands mineurs (Lenau, Uhland, Hauff, Freiligrath, Houwald) ne sont pas signalés comme des traductions. Un autre exemple de cette pratique de la traduction-appropriation par Kreutzwald est son épopée philosophique Lembitu (1885), présentée comme une création personnelle, mais en réalité adaptée d’une œuvre de l’écrivain suisse Josef Viktor Widmann, Buddha (1869), transposée dans l’Estonie du XIIIe siècle. La source n’a été identifiée qu’en 1927.

La pièce de Lydia Koidula Saaremaa onupoeg [Le cousin de Saaremaa] (1870), considérée comme la première pièce de théâtre en estonien, est adaptée d’une farce de l’écrivain allemand Theodor Körner (1791-1813), Der Vetter aus Bremen (1812), sans que rien sur l’ouvrage ne signale cette source.

Certains textes sont adaptés dans un autre genre. Par exemple le conte en vers de Christoph Martin Wieland, Oberon, est adapté en prose, ou plus exactement on adapte en estonien une adaptation allemande en prose (1876). Il en est de même des drames historiques de Schiller, qui sont transposés sous la forme de récits en prose, la forme théâtrale étant probablement jugée sans perspective compte tenu de la situation du théâtre en estonien : La fiancée de Messine (1875), Guillaume Tell (1876), La pucelle d’Orléans (1878), Marie Stuart (1880). Aucun de ces ouvrages ne fait figurer le nom de l’auteur sur la couverture (dans le meilleur des cas, il est indiqué dans la préface), et le nom du traducteur est également omis pour certains d’entre eux. L’Histoire merveilleuse de Peter Schlemihl, d’Adelbert von Chamisso, est traduite en 1876 sans nom de traducteur et sans que le nom de l’auteur soit indiqué sur la couverture (il est indiqué à l’intérieur).

La situation évolue toutefois progressivement. Ainsi, les poèmes de Goethe, Schiller et Heine publiés dans le supplément de Sakala sont présentés sous le nom de leurs auteurs, et non plus comme des œuvres originales des traducteurs. Dans les années 1880, la critique réclame davantage de fidélité à l’œuvre d’origine et la mention obligatoire de l’auteur. Cette tendance atteint un point de non retour en 1894 avec un scandale autour d’un ouvrage de Jakob Kõrv, qui avait reçu un prix littéraire en 1890, mais se révèle être une simple transposition d’Atala. Après cela, la traduction-appropriation devient déontologiquement impossible. Dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, des auteurs étrangers commencent à acquérir une certaine visibilité pour les lecteurs.

2.2.5. Le degré d’adaptation varie-il en fonction des langues traduites et des types de textes ?

En l’absence de recherches de première main sur ce sujet, il est difficile de répondre avec certitude à cette question. Toutefois, à première vue, il ne semble pas qu’il y ait de corrélation particulière entre ces facteurs, du moins si l’on reste dans le domaine de la littérature profane. Les traductions de textes religieux sont manifestement plus proches de l’original que les traductions littéraires.

2.2.6. De quelle(s) langue(s) traduit-on ? Pouvez-vous évaluer la part respective des différentes langues dans l’ensemble des traductions ?

Tout au long de la période, la principale langue source reste l’allemand, même si dans les années 1880 et 1890 le russe en vient à occuper une place presque aussi importante.

La littérature russe a commencé à être traduite à partir du début du XIXe siècle : la première traduction d’un texte littéraire russe (le récit « Frol Siline » de Nikolaï Karamzine) est publiée en 1806 dans le premier périodique estonien (Tarto maa rahva Näddali-leht) (Issakov 1974, p. 319). Mais la plupart des textes traduits du russe sont alors de nature pratique ou administrative. On trouve aussi des traductions de textes religieux orthodoxes, notamment les traductions faites à partir du russe et du slavon dans les années 1840 par N. Mühlberg (Issakov 1974, p. 320). C’est à partir de la fin des années 1870 que le nombre de traductions littéraires du russe s’accroît, notamment grâce à un traducteur assez actif, F. W. Ederberg.

Les premières adaptations d’ouvrages français datent des années 1870 : Notre-Dame de Paris est adapté-résumé (en 74 pages !) en 1876. De même, Vingt mille lieues sous les mers est résumé en 27 pages en 1875 (sans nom d’auteur ni de traducteur).

Jaan Bergmann, traduit en estonien des classiques de la littérature grecque : il publie dans la revue Meelejahutaja des extraits adaptés en prose des épopées homériques, mais aussi une traduction complète en hexamètres de la Batrachomyomachia (1879).

L’éventail des langues se diversifie dans les années 1880 et 1890. À côté des habi­tuels ouvrages de divertisse­ment alle­mands, qui représentent tou­jours la majeure partie des traductions, un nombre croissant d’œuvres d’autres littératures deviennent accessibles au public esto­nien. Parmi elles figurent en bonne place celles des réa­listes russes (Lermontov, Tourgueniev, Tolstoï), mais aussi fran­çais (Mau­pas­sant, Zola) ou scandinaves (Bjørnson). Du français, on traduit également à cette époque de la littérature populaire (Eugène Sue, Dumas). De jeunes intellectuels apprennent le finnois et commencent à traduire de la littérature finnoise (dès le début des années 1880). On traduit également des œuvres hongroises (Mór Jókai, Petőfi).

2.2.7. Traduit-on directement ou via des langues-relais ?

Les ouvrages en allemand sont toujours traduits directement. On traduit aussi directement du russe, même si au début de la période certaines traductions sont réalisées par l’intermédiaire de l’allemand. Les traductions ou adaptations du français (à partir des années 1870), de l’anglais, du hongrois et des langues scandinaves, sont faites le plus souvent d’après des traductions allemandes ou parfois russes, et ce jusqu’à la fin de la période (EKA II, p. 398). Les traductions du finnois sont faites directement.

2.2.8. Trouve-t-on des réflexions et/ou des débats sur la traduction ? Sur quoi portent-ils ?

Les réflexions sur la traduction portent d’abord essentiellement sur la façon d’utiliser ou d’adapter la langue estonienne pour exprimer des notions dépourvues de désignation, ainsi que sur la qualité de la langue des traducteurs. Ces réflexions sont donc de nature plus linguistique que traductologique.

La discussion théorique sur la traduction prend un essor avec la parution à partir de 1813 de la revue Beiträge zur genauern Kenntniß der ehstnischen Sprache, qui publie des critiques de traductions. Voici un exemple du type de remarque que l’on peut y trouver. Il s’agit d’une critique du littéralisme des traducteurs, signée « a+b »[1] : « Nous avons déjà remarqué que la quasi-totalité des traducteurs estoniens ont échoué systématiquement, qu’ils aient pris grand soin de transposer le moindre mot avec une anxiété tatillonne, faisant non seulement violence à la langue par leur littéralité scolaire, mais rendant ainsi le sens du propos plus nébuleux, ambigu, dénaturé, voire incompréhensible ; ou qu’ils se soient astreints à une éloquence ridicule et un verbiage insignifiant, leur exposé devenant d’autant plus confus et obscur qu’ils comprenaient mal la langue et qu’ils éprouvaient plus de difficultés à réfléchir à travers elle. » [« Vorher bemerken wir aber noch, daß fast alle ehstnische Uebersetzer ohne Ausnahm darin bis jetzt gefehlt haben, daß sie entweder mit einer peinlichen Aengstlichkeit jedes Wörtchen überzutragen sich bemühten, und durch diese schülerhafte Wörtlichkeit der Sprache nicht nur Gewalt anthaten, sondern auch dadurch eben so oft den Sinn der Rede entstellten, verdunkelten, zweideutig oder gar unverständlich machten ; oder, daß sie sich einer lächerlichen Wohlredenheit und einer bedeutungslosen Wortfülle zu befleißigen suchten, wodurch ihr Vortrag um so verworrener und dunkler werden mußte, je weniger sie selbst die Sprache verstanden, und je weniger frei sie mit ihren Gedanken sich in derselben bewegen konnten. »] (Beiträge, t. 5, 1816, p. 39).

La critique formule à partir des années 1870 des exigences croissantes concernant les traductions, réclamant davantage de fidélité à l’original et la mention du nom de l’auteur du texte d’origine. Le choix des œuvres traduites fait également l’objet de débats : la traduction d’œuvres de divertissement médiocres est condamnée par certains critiques.

2.2.9. Certains traducteurs écrivent-ils des préfaces explicitant leur pratique ainsi que le choix des textes qu’ils traduisent ?

L’état actuel des recherches ne permet pas de répondre avec certitude à cette question. Cette pratique semble toutefois rare, voire inexistante, au XIXe siècle, y compris dans les année 1880 et 1890 où la traduction a pourtant conquis son autonomie par rapport à la littérature originale et où la figure du traducteur devient plus visible.

 

2.3. Le rôle culturel de la traduction

La traduction et la langue

2.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (existe-t-il une norme unique pour cette langue ? Coexistence éventuelle avec d’autres langues ?)

L’estonien coexiste toujours en Estonie avec l’allemand, langue de la culture et langue maternelle des élites économiques, politiques et religieuses, et le russe, langue officielle de l’empire, dont l’importance s’accroît vers la fin du siècle du fait d’une campagne de russification. L’allemand et le russe sont les seules langues d’enseignement au lycée et à l’université. La norme écrite de l’estonien du nord s’unifie progressivement tout au long du siècle. L’estonien du nord s’impose face à l’estonien du sud. Une orthographe réformée, plus rationnelle et plus fidèle à la prononciation, s’impose dans les années 1850.

2.3.2. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement de la langue littéraire ?

Incontestablement, la traduction joue à cette époque comme à la précédente un rôle majeur dans le développement de la langue, et plus particulièrement dans son enrichissement lexical. C’est surtout la traduction de textes juridiques ou de vulgarisation scientifique (manuels, revues) qui remplit cette fonction et permet le développement de vocabulaires spécialisés. Friedrich Reinhold Kreutzwald, qui traduit notamment des textes de lois, invente ainsi de nombreux termes juridiques dont certains sont encore en usage aujourd’hui (eesistuja, ettekirjutus, otsustama, volinik). Dans les deux dernières décennies du siècle, l’estonien devient apte à exprimer l’ensemble des connaissances de l’époque. La partie la plus visible de cette évolution concerne donc le développement des terminologies scientifiques. Le rôle de la traduction littéraire est plus difficile à évaluer. Mais il semble bien qu’elle ait également contribué à l’enrichissement lexical de l’estonien. C’est toutefois seulement au cours de la période suivante qu’elle jouera un rôle plus spectaculaire.

La traduction et la littérature

2.3.3. La littérature profane est-elle d’abord originale, traduite/adaptée, ou les deux à la fois ?

Elle est d’abord adaptée, et c’est seulement plus tard, à partir des années 1860 et 1870, que les œuvres entièrement originales deviennent plus nombreuses.

2.3.4. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement des formes, des genres et des courants littéraires ?

L’influence des traductions des années 1880 et 1890 sur l’évolution du goût des critiques et des lecteurs est indéniable, comme en témoigne par exemple le fait que le journaliste et homme de lettres Ado Grenzstein, après avoir dénigré sévèrement Zola en 1884, fait son éloge en 1891 et le donne en exemple aux écrivains estoniens: « Zola a recueilli des matériaux dans la vie quotidienne et a peint avec eux une image réaliste, a façonné un beau cristal digne d’être regardé. (…) Que nos jeunes écrivains y trouvent un exemple, et que les lecteurs apprennent à apprécier de tels ouvrages. Ce terrain, chez nous, est encore en friche, cette mine d’or n’a pas encore été exploitée. (…) Si quelqu’un se fixait pour mission d’étudier la vie de nos paysans, sous ses bons et ses mauvais côtés, et d’en tirer des récits, nous avons la certitude qu’il ne tarderait pas à surpasser bien d’autres écrivains et devien­drait l’enfant chéri du peuple. » (Olevik, n° 31, 5 août 1891, p. 628)

La traduction et la société

2.3.5. Quelle est la finalité principale des traductions ou adaptations (Didactique ? Politique ? Esthétique ?)

Jusque dans les années 1840, la finalité des traductions-adaptations est principalement didactique. Il s’agit de fournir aux paysans des lectures instructives, qui contribuent à élargir leurs connaissances et à faire leur éducation morale. Peu à peu, à partir des années 1870, le divertissement devient une finalité centrale. La finalité proprement esthétique se développe ensuite. On ne note pas particulièrement de finalité politique.

2.3.6. Quels sont les supports de publication et les modes de diffusion des traductions ? Y a-t-il des différences à cet égard avec la littérature originale ?

Dans les années 1860 et 1870, un support de publication important pour la littérature traduite est le supplément du journal Eesti Postimees, qui publie des récits traduits en feuilleton sur plusieurs numéros. Des périodiques fondés un peu plus tard, comme le journal Sakala et la revue Meelejahutaja (1878), publient également des récits traduits.

La diffusion des livres s’améliore. Si autrefois les librairies ne vendaient que des livres en allemand, la première librairie à vendre des livres estoniens est fondée en 1867 à Tartu, et d’autres suivent bientôt son exemple. On fonde même des librairies ne vendant que des livres en estonien, y compris dans les petites villes.

La frontière entre littérature originale et littérature traduite n’étant pas nettement marquée, il ne semble pas qu’il y ait de différences dans les supports de publication et les modes de diffusion.

2.3.7. Quel est le public des traductions ? Est-il différent du public de la littérature originale ?

Le public est manifestement le même, puisque les deux littératures ne se distinguent pas nettement l’une de l’autre.

2.3.8. Réception critique des traductions ?

2.3.9. Qui prend en général l’initiative des traductions (traducteurs ? éditeurs ? libraires ? mécènes ? pouvoir politique  ou religieux ?)

L’initiative est prise soit par les traducteurs eux-mêmes, soit par les éditeurs, dont la plupart sont aussi imprimeurs. Le principal imprimeur-éditeur, qui passe des commandes de traductions, est H. Laakmann à Tartu, qui publie dans les années 1870 et 1880 environ 40 % de la production imprimée en estonien. Il n’y a pas de mécènes, et les autorités politiques ou religieuses ne publient pas d’ouvrages littéraires en estonien.

2.3.10. Existe-t-il une censure visant spécifiquement des traductions ?

Non.

2.3.11. Les modalités d’exercice de la traduction sont-elles influencées par les identités nationales, sociales, etc. (choix des textes, mode de traduire, langue de la traduction) ?

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2.3.12. Des traductions ont-elles joué un rôle dans l’évolution des idées et de la société ?

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Références

ANTIK Richard, 1935, Eesti raamat 1535-1935 : arengulooline ülevaade, arvulised kokkuvõtted, reproduktsioonid, Tallinn.

EKA = Eesti kirjanduse ajalugu, I-V, Tallinn : Eesti Raamat, 1965-1991.

ISSAKOV Sergei, 1974, « Noukogudemaa rahvaste kirjanduse eesti keelde tolkimise ajaloost », Looming, n° 2.

LIIVAKU Uno, MERISTE Henno, 1975, Kuidas seda tõlkida : järeltormatusest eestinduseni, Tallinn : Valgus.

[1] Liivaku & Meriste 1975 attribuent ce texte au pasteur Otto Wilhelm Masing, l’un des meilleurs connaisseurs de l’estonien à l’époque.