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Auteurs : Antonia Bernard, Nike K. Pokorn, Mojca Schlamberger-Brezar

 

1.1. Cadre général introductif

Il s’agit d’une nation au nombre de locuteurs très limité (deux millions aujourd’hui, un million et demi à la fin du XVIIIe siècle), d’une sphère étroitement liée à l’empire des Habsbourg (les territoires slovènes faisaient partie de leurs territoires héréditaires) depuis leur avènement jusqu’à leur chute. Aussi, Vienne représentait pour eux un centre de culture primordial et l’allemand la langue d’accès aux cultures européennes.

1.1.1. Quel est le premier texte traduit ?

Les Feuillets de Freising, écrits entre 972 et 1039 et découverts en 1803, à l’occasion du transfert de la bibliothèque de Freising (près de Munich) à la bibliothèque de Munich. Précisons que l’évêché de Freising avait des possessions en Carniole et en Carinthie et c’est pour les besoins spirituels de ses habitants que les textes furent préparés. Il s’agit de deux modèles de confession et d’un prêche sur le péché et la pénitence. Les textes furent écrits par un prêtre allemand, mais on ignore s’il s’est servi d’un original écrit ou s’il a écrit sous la dictée (Janko Kos, 1989, p.17). Les Feuillets de Freising étaient des traductions de textes originaux écrits en latin et en allemand qui servaient pour la christianisation dans l’Église d’Occident (Glavan 2007).

1.1.2. À quelle époque commence-t-on à traduire les textes religieux dans votre langue ?

Certainement avec la christianisation au VIIe siècle. On trouve le Notre père et le Credo dans le Manuscrit de Celovec ou de Rateče (autour de 1380). Le Manuscrit de Stična (autour de 1428) écrit par un moine d’origine tchèque contient, entre autres, un chant d’église (Janko Kos, 1989, pp. 17-18). Mais la grande époque de la traduction des textes sacrés est l’époque du protestantisme (1550-1598) où une trentaine de livres (traductions ou adaptations), dont la Bible en entier, voient le jour.

À part les textes religieux utilisés pour les besoins de la christianisation, on trouve d’autres manuscrits contenant des textes d’utilité générale. Les textes slovènes figurent sur les cinq dernières pages. On trouve parmi eux deux modèles de confession générale (confessio generalis), le début d’une cantilène de Pâques, quelques gloses latin-slovène, des invocations du Saint Esprit et de la vierge Marie et le prêche Salve Regina. Quelques gloses interlinéaires se trouvent aussi dans les textes latins ailleurs dans l’ouvrage. Le document le plus important est la confession générale qui énumère les différentes sortes de péchés et ressemble aux autres documents du même type. C’est une compilation d’après un échantillon allemand suivant la formule d’Honoré d’Augustodune (première moitié du XIIe siècle). La première strophe de la cantilène de Pâques traite de la pensée liturgique de l’Ascension et de sa signification pour la rédemption des hommes. Il s’agit d’une adaptation d’un poème allemand (Christ ist erstanden), mais qui diffère par le vocabulaire, le rythme et la structure de la phrase, ce qui est le signe d’une élaboration indépendante et originale d'un thème typique du Moyen âge. L’invocation avant le sermon est une demande pour la grâce et l’espoir. Salve Regina est un  cantique spirituel destiné à la prière des prêtres. Son adaptation slovène témoigne du début du culte de Marie qui a marqué profondément la foi sur le territoire slovène (Glavan 2007). 

 

1.1.3. Date de la première traduction intégrale de la Bible ?

1584, publiée à Wittemberg.

 

1.2. La pratique de la traduction.

Qui traduit ?

1.2.1. Qui sont les traducteurs ? (Formation, langue maternelle, statut social, quelles sont leurs conditions de travail ? Sont-ils reconnus en tant que traducteurs, s’agit-il de leur activité principale ? Etc.)

Les traducteurs sont forcément des hommes d’Église. Pour les tout premiers textes ils sont parfois de langue autre que slovène, mais pour les textes bibliques ils sont en slovène. Il s’agit d’abord de prêtres slovènes devenus pasteurs protestants et qui, pour cette raison, doivent quitter le pays. Ils sont accueillis dans les principautés protestantes en Allemagne où ils travaillent, en général.

Que traduit-on ?

1.2.2. Quels types de textes religieux traduit-on ?

Prières, chants, Évangiles, Bible.

1.2.3. Traduit-on à la même époque des textes profanes ?

Oui, le manuscrit de Cividale (Černjejski ou Čedajski/Čedadski rokopis) est une liste des messes d’inauguration de la fraternité de Marie à Čerjneja, en Vénétie slovène. Avec le manuscrit de Videm (Udine), c’est le plus ancien manuscrit slovène daté (1497), il est écrit sur  parchemin et contient 16 pages avec un texte principal en latin, écrit en 1459 et plus tard. Le texte slovène est le résumé des textes italien et latin, écrit par plusieurs scripteurs, le plus ancien par Janez (Johannes, Jean) de île de Krk. Le texte comprend peu de mots différents parce qu’il s’agit de la répétition d'une formule dans laquelle se trouvent les noms des personnes et des lieux. Les transcriptions des nombres et les termes techniques de la langue administrative slovène sont d'une importance majeure. Le manuscrit est conservé à Cicidale (Čedad) (Enciklopedija Slovenije 2, Ljubljana: Mladinska knjiga, 1988, p. 113-114).

Au temps du protestantisme, il existe des traductions de textes profanes, parmi lesquelles la traduction d’une lettre de l’archiduc au vidame de Ljubljana concernant un juge de Vipava (Rupel 1956, p. 225).

Comment traduit-on ?

1.2.4. À partir de quel texte-source ?

À partir des textes religieux en latin, en grec, en allemand (et même l’hébreu pour la Bible) mais en s’aidant souvent des traductions en allemand.

1.2.5. De quelle(s) langue(s) traduit-on ?

Du latin et de l’allemand pour les premiers Évangiles, du latin, grec, hébreu et allemand pour la traduction de la Bible de 1584 (Jurij Dalmatin). Le modèle des auteurs protestants slovènes est la Bible de Luther.

Selon Ahačič (2007), la traduction du Nouveau testament par Trubar a été faite d'après la traduction latine d’Erasme de Rotterdam, combinée avec la traduction de l’allemand réalisée par Luther. Jurij Dalmatin a effectué sa traduction du Nouveau testament d’après celle de Luther et sur la base du texte de Trubar. L'influence du texte de Luther est aussi visible dans la traduction de l’Ancien testament réalisée par Dalmatin.

 

1.2.6. Passe-t-on par une langue relais ?

Oui, par le latin ou l'allemand.

1.2.7. Si oui, celle-ci est-elle orale ou écrite ?

Écrite.

1.2.8. Les traducteurs privilégient-ils un mode de traduire littéral pour les textes religieux ?

Oui et non. Il ne faut surtout pas oublier qu’il s’agit de textes sacrés qui ne doivent pas être modifiés sous peine d’être considérés comme hérétiques (à une époque où l’on traque l’hérésie). On reste donc très près de l’original en traduisant les Évangiles. Mais le traducteur n’oublie évidemment pas le lecteur (dont la vie éternelle dépend de la « vraie foi », ne n’oublions pas !) qui doit pouvoir comprendre le texte. Voici comment Primož Trubar (1508-1586), l’auteur des premières traductions des Évangiles explique son but dans la préface à sa traduction de l’Évangile de saint Mathieu (1555) : « car nous n’avons pas cherché dans cette translation ou interprétation des mots beaux, lisses, élevés, savants, nouveaux et inconnus, mais des mots ordinaires et simples de Carniole que tout bon et simple Slovène peut facilement comprendre. Car la force des saints Évangiles et notre salut ne reposent pas sur les beaux mots, mais sur l’esprit, sur la vérité, sur la vraie foi et sur une sainte vie chrétienne. » (Slovenska zvrstna besedila, 1993, p.422).

Selon Ahačič (2007), Trubar aurait « transformé et interprété le texte de manière fidèle ». Comme les textes latins et allemands étaient souvent difficiles à comprendre et manquaient de clarté,  Trubar aurait complété les traductions latines et allemandes par des paraphrases (aujourd’hui on parlerait de traduction interprétative), en ajoutant des exemples et des histoires qui servaient d’explication pour les lecteurs moins instruits. 

 

1.2.9. Comment justifient-ils leur pratique ?

La rigueur absolue est évidente pour les Évangiles et elle n’a pas à être justifiée. En revanche, on observe une rigueur moindre en ce qui concerne les autres textes. Le traducteur essaie souvent de rendre la langue compréhensible, quitte à changer certains détails. Citons un exemple tiré du Cantique des cantiques (2) de la Bible de 1584 : à la place du « narcisse » et du « lys », nous trouvons deux termes désignant la « fleur », à la place de « gazelle » et de « biche », les termes « chevrette » et « biche ». Les termes originaux étaient certainement inconnus aux Slovènes de l’époque.

 

1.2.10. Si on traduit aussi des textes profanes à la même époque, a-t-on le même mode de traduire ?

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1.3. Le rôle culturel de la traduction

La traduction et la langue

1.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (existe-t-il une norme unique pour cette langue ? Coexistence éventuelle avec d’autres langues ?)

Lorsque Primož Trubar publie son Cathechismus en 1550 (traduction-adaptation), il précise qu’il est le premier à écrire dans cette langue. Il n’existe aucun standard écrit et les protestants se rendent bien compte qu’ils font oeuvre de pionnier. Trubar, qui avait été prêtre dans diverses régions, note les difficultés que représentent les dialectes : « Car la langue slovène ne se parle pas et ne s’entend pas de la même manière partout : Les Carniolais emploient bien d’autres mots, et les Carinthiens parlent encore autrement, et autrement les Styriens, les habitants de la Basse Carniole, du Karst, de l’Istrie, les Croates » (Slovenska zvrstna besedila, 1993, p. 422).

Selon M. Orožen (1996, p. 10-16), il existe trois étapes dans la normalisation du slovène, la première est la normalisation de la langue écrite de la Carniole (1584-1808), la deuxième comprend la description des formes et la purification de la langue officielle (de 1808 à 1863), la troisième apporte la forme standardisée de la langue.

La première époque, qui débute avec Bohorič (1584) et la première grammaire du slovène, Alasio da Sommaripa avec le premier dictionnaire (italien – slovène, 1607) et va jusqu'à Kopitar (1808), est marquée par le souci d'établir la norme littéraire de la langue de Carniole, mais aussi des autres langues des diverses régions correspondant au territoire slovène actuel (il y a une particularisation dialectale et les écritures se font aussi en dialecte), ainsi que par la volonté de cultiver l’oral et de développer une politique linguistique, qui s’est manifestée dans la pratique religieuse. 

 

1.3.2. Quel est le rôle de ces traductions dans le développement de la langue littéraire ?

Les auteurs protestants slovènes sont considérés unanimement comme les fondateurs de la langue littéraire slovène. C’est pour cette raison que le 31 octobre, date où Luther apposa ses thèses sur la porte de la chapelle du château de Wittemberg, est en Slovénie, pays catholique, jour férié depuis l’indépendance (« Dan reformacije » - « Jour de la Réforme »).

 

1.3.3. Quelles sont les grandes phases de retraduction des textes religieux en fonction de l’évolution de la langue ?

Deux importantes retraductions de la Bible ont été faites depuis 1584 : la Bible « janséniste » de la fin du XVIIIe siècle et la Bible « moderne » de la fin du XXe siècle. La première fut faite sous l’impulsion de l’évêque de Ljubljana Karel Herberstein par Jurij Japelj et Blaž Kumerdej (en plus d’autres collaborateurs) : le Nouveau Testament fut publié en 1784-1786 et tout l’Ancien Testament, en neuf livres, entre 1791 et 1802 (Jože Pogačnik, 1969, pp.56-57). La nouvelle traduction standard, œuvre commune d’un grand nombre d’érudits, fut publiée en 1997.

a) Bible protestante  (Jurij Dalmatin), 1583

b) Bible catholique (Jurij Japelj), 1784 – 1802

c) Bible  (Anton Alojzij Wolf), 1856 - 1859 

d) Bible  (Antonín Chráska), 1914 (sans livres deutérocanoniques)

e) Bible  (édition de Maribor), 1959 – 1961

f) Bible ( édition oecuménique), 1974 (la version adaptée et corrigée de la Bible de Maribor)

g) Bible (traduction slovène standard) 1996 (édition oecuménique )

h) Bible : nouveau testament et psaumes; edition de Jérusalem  2010

 

La traduction et la société

1.3.4. Qui sont les commanditaires ? Les destinataires ?

Les commanditaires de la Bible de 1584 sont les Ordres de l’Autriche Intérieure et les destinataires sont tous les « chers Slovènes », terme qui, pour les traducteurs protestants, désigne les habitants slaves de l’Autriche Intérieure, mais aussi de l’Istrie et même de la Croatie. Trubar voudrait s’adresser également aux habitants de la Turquie (Balkans), leur apporter la parole divine. Le commanditaire de la Bible « janséniste » est l’évêque de Ljubljana.

 

1.3.5. Diffusion des traductions (mode de reproduction, ampleur de la diffusion) ?

La diffusion est difficile et passe par les canaux des religieux qui seront rapidement en butte aux persécutions. Certains livres voyageaient depuis l’Allemagne, où ils furent imprimés, dans des tonneaux. Quant à la Bible de 1584, elle fut publiée en 3 000 exemplaires de grande qualité et distribuée par les soins des protestants. Après la reprise en main religieuse des territoires à partir de 1598 et la mise en place des commissions de contre-réforme, les livres des protestants seront brûlés, mis à part la Bible, pour laquelle l’évêque de Ljubljana Tomaž Hren, chargé de la recatholisation, obtiendra du pape la permission de l’utiliser. Cette Bible protestante servira d’ailleurs de base à la traduction « janséniste ».

 

1.3.6. Réception critique éventuelle, débats suscités par les traductions?

La plupart des traduction protestantes ont été détruites à l’époque de la Contre-Réforme, pour certains livres jusqu’au dernier exemplaire. La seule exception a été la traduction de la Bible par Jurij Dalmatin qui a été acceptée par les prêtres catholiques, à quelques restrictions près (omission de la préface, etc.) (Tomšič 1956, p. 14).

 

1.3.7. Des retraductions interviennent-elles pour des raisons idéologiques et/ou religieuses ?

Malgré quelques tentatives de retraduction catholique des Évangiles sous l’impulsion de l’évêque Tomaž Hren (Evangelii inu listuvi, 1613) et la traduction du Catéchisme de Canisius (1615, traducteur Janez Candek), le besoin d’une nouvelle traduction de la Bible se fait sentir, pour des raisons religieuses et pratiques (Anton Slodnjak, 1975, p. 45). Le jansénisme, tel qu’il s’est répandu dans l’empire des Habsbourg sous le règne de Marie-Thérèse et de Joseph II prône, à l’instar de ses fondateurs du Port-Royal, une foi plus intérieure et la lecture individuelle des textes sacrés dans la langue « vulgaire ». Or, les quelques exemplaires de la Bible protestante (toujours suspecte) ne peuvent pas jouer ce rôle. Une nouvelle traduction est une nécessité. De surcroît, on est à une époque clé pour la langue slovène qui va vite se développer, avec la scolarité obligatoire se mettant en place progressivement à partir de la fin du XVIIIe siècle, grâce aux réformes de l’impératrice éclairée. Or, la langue des traducteurs protestants contient un grand nombre de germanismes (toutes les traductions ont été réalisées sur le territoire allemand). Le but des traducteurs, qui s’appuient sur la traduction de Dalmatin de 1584, est donc de donner également une nouvelle norme de la langue écrite.

 

Bibliographie

Ahačič, Kozma2007. Zgodovina misli o jeziku in književnosti na Slovenskem: protestantizem. Ljubljana: Založba ZRC, ZRC SAZU. (Linguistica et philologica, 18).

Glavan, Mihael. 2007. Prva slovenska pisna besedila. Dans: Vogrinc Javoršek, Urša et Kocijančič Pokorn, Nike (ed.) Vta Slouenski jesig preobernen : vloga prevoda v razvoju slovenskega jezika in književnosti = the role of translation in the development of Slovene language and literature. [Narodna in univerzitetna knjižnica, 4. september do 4. oktober 2007]. Ljubljana: Filozofska fakulteta, Oddelek za prevajalstvo.

Rupel, Marko. 1956. «Pomen referomacije za Slovence.» V: Legiša, Lino in Alfons Gpan (ur.) Zgodovina slovenskega slovstva: Do začetkov romantike. Ljubljana: Slovenska matica, 234-258.

Stanovnik, Majda. 2005. Slovenski literarni prevod 1550- 2000. Ljubljana: ZRC SAZU. Studia literaria. 

Tomšič, France. 1956. «Razvoj slovenskega knjižnega jezika.» V: Legiša, Lino in Alfons Gpan (ur.) Zgodovina slovenskega slovstva: Do začetkov romantike. Ljubljana: Slovenska matica, 9-28.