Auteur : Nenad Krstić
2.1. Cadre général introductif
2.1.1. À quelle époque se constitue une littérature profane dans votre langue ?
À la fin du XIIIe siècle et au XIVe siècle, dans les littératures serbe, croate et bosniaque, apparaissent de nombreuses traductions de romans et de contes byzantins: Alexandre, Le roman de Troie, Le tzar Assa, La vie d’Ésope, etc. Toutefois seuls des clercs et quelques seigneurs ont lu toutes ces traductions écrites en rédaction serbe (et croate) du vieux slave, le serbe-slave, tandis que pour la plupart des Serbes elles étaient incompréhensibles.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, et surtout vers la fin de ce siècle, apparaissent des œuvres littéraires en slave-serbe, langue qui remplace progressivement le russe-slave et devient la langue écrite. Cette langue était la langue des grands écrivains serbes de l’époque: Zaharije Orphelin, Jovan Rajić, Dositej Obradović, Joakim Vujić et les autres, et elle était assez compréhensible pour beaucoup de Serbes. Il est donc possible de considérer que la littérature profane se constitue dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Mais c’est seulement vers la fin de ce siècle, et surtout au début du XIXe siècle, qu’une littérature plus abondante et variée se constitue.
La situation est à peu près similaire chez les Croates et les Bosniaques. On peut considérer que la « nouvelle littérature » croate commence à l’époque de l’illyrisme avec son plus grand représentant, Ljudevit Gaj (1809 - 1872). Parmi les écrivains, il faut citer le nom de l’un des plus grands poètes croates, Ivan Mažuranić (1814 - 1890), auteur d’un grand poème épique « Smrt Smail-age Čengića » (La Mort de Smail-aga Čengić).
2.1.2. Peut-on distinguer plusieurs grandes périodes entre l'apparition d'une littérature profane et la quête de modernité incarnée par les avant-gardes littéraires ?
On peut proposer la périodisation suivante :
Deuxième moitié du XVIIIe siècle - début du XIXe siècle :
Phase de formation de la littérature profane, qui culmine avec la parution de l’œuvre de Dositej Obradović la Vie et les aventures de Dositej Obradović (1783). Dositej Obradović est considéré comme le premier grand écrivain serbe ayant écrit en langue slave-serbe, langue qui, à l’époque, était compréhensible pour beaucoup de Serbes. Dans tout ce qu’il a écrit, Dositej Obradović s’est montré un fils des Lumières, mêlant, comme on le veut à l’époque, la raison et la sensibilité. Cette époque est considérée comme l'époque du rationalisme.
Début du XIXe siècle - 1848 : du rationalisme au romantisme.
La littérature est au service de la construction nationale. L’influence du romantisme devient de plus en plus grande, notamment en poésie et dans des récits historiques.
1848 - 1868 : l’époque du romantisme.
La langue serbe, après la grande réforme de Vuk Karadžić (1787-1864), remplace le slave-serbe et devient la langue des écrivains, ainsi que la langue officielle. Les Croates acceptent cette réforme comme réforme de la langue croate.
Chez les Croates, la « nouvelle littérature » commence à l’époque de l’illyrisme, avec son plus grand représentant, Ljudevit Gaj (1809-1872). Parmi les quelques écrivains croates de l’époque, il faut surtout citer le nom du plus grand poète croate, Ivan Mažuranić (1814-1890) et son chef-d’oeuvre « Smrt Smail-age Čengića » (La Mort de Smail-aga Čengić).
1868 - début du XX e siècle: l’époque du réalisme.
Influence des littératures russe, allemande et française.
Le plus grand poète croate de l’époque était Silvije Strahimir Kranjčević (1865 - 1908). Il a influencé un grand nombre de poètes du XXe siècle.
2.1.3. Peut-on mettre en relation cette évolution de la littérature avec certains facteurs culturels, sociaux, économiques ou politiques (par ex. développement ou laïcisation de l’enseignement secondaire et/ou supérieur ? changements dans la structure sociale ? développement de contacts culturels avec l’étranger ? existence d’une diaspora ? création d’un État-nation ? facteurs religieux ? etc.).
Cette évolution de la littérature peut être mise en relation avec les facteurs économiques et surtout avec les facteurs historiques et politiques. La péninsule balkanique, avec ses divers peuples (Serbes, Croates, Bosniaques, Bulgares, Macédoniens, Albanais, Grecs et autres) fut soumise aux Turcs à partir de la fin du XIVe siècle. L’Europe chrétienne, surtout la maison d’Autriche (l’empire d’Autriche), amorça la reconquête au XVIIIe siècle. Profitant des rivalités entre les Autrichiens et les Turcs et aussi de l’effondrement de l’Empire ottoman, les peuples des Balkans obtinrent leur indépendance aux XIXe et XXe siècles. Les Serbes retrouvent leur autonomie en 1830. Tout au long du XIXe siècle, leur histoire va être dès lors entachée par la rivalité sanglante des deux familles régnantes, les Karageorgevitch et les Obrénovic. Cette instabilité ne les empêche pas de se voir reconnaître une indépendance pleine et entière en 1878. Dès lors, la Serbie œuvre à la réunion de tous les Slaves des Balkans autour d'elle, que ces Slaves appartiennent à la Turquie ou à l'Autriche. Au terme de la Première Guerre mondiale, en 1918, la Serbie profite de la dislocation de l'Autriche-Hongrie, vaincue, pour réunir sous son égide les peuples qui l'environnent. C'est ainsi qu'est fondé le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, tandis que la fédération prend en 1929 le nom de Yougoslavie (ce qui signifie en serbe, croate et bosniaque « pays des Slaves du Sud »).
Bien entendu, l’évolution de la littérature chez les Serbes, mais aussi chez les Croates et les Bosniaques, peut être mise en relation avec des changements dans la structure sociale qui commencent déjà dans la première moitié du XVIIIe siècle, surtout chez les Serbes, Croates et Bosniaques qui vivaient au nord de la péninsule balkanique, dans l’empire d’Autriche. Cette évolution de la littérature peut être mise aussi en relation avec le développement de contacts culturels avec des intellectuels de France, d'Italie, d'Angleterre, de Russie et, surtout, avec les réformes de la langue serbe (croate et bosniaque) qui a eu ses trois phases :
1. la première moitié du XVIIIe siècle, le russe-slave remplace le serbe-slave ; 2. entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, le slave-serbe remplace progressivement le russe-slave et devient la langue écrite; 3. dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le serbe contemporain, après la grande réforme de Vuk Karadžić (1787-1864), remplace le slave-serbe (Mladenović 1989 : 75-82).
Cette évolution de la littérature peut être mise aussi en relation avec le développement de l’enseignement secondaire qui commence dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, et de l’enseignement supérieur, dans la première moitié du XIXe siècle, plus exactement en 1808, date officielle de la naissance de l’Université sous le nom de Velika škola (Grande école). Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le développement de l’enseignement secondaire, et surtout de l’enseignement supérieur, devient très intense. Il ne faut pas oublier, non plus, les facteurs religieux : malgré le fait que la plupart des Serbes aient été sous occupation turque pendant plus de quatre siècles, ils ont réussi à conserver leur religion chrétienne orthodoxe. Il faut cependant signaler qu’une grande partie de Serbes en Bosnie a adopté la religion musulmane.
2.2. La pratique de la traduction
Qui traduit ?
2.2.1. Qui sont les traducteurs (origine sociale, formation, langue maternelle, statut social, conditions de travail et de rémunération ? Sont-ils reconnus en tant que traducteurs, s’agit-il de leur activité principale ? etc.) ?
À la fin du XIIIe siècle et au XIVe siècle, apparaissent dans la littérature serbe de nombreuses traductions de romans et de contes byzantins : Alexandre, Le roman de Troie, Le tzar Assa, La vie d’Ésope, etc. Les traducteurs de ces romans et contes byzantins étaient des clercs et quelques seigneurs dont les noms sont aujourd’hui malheureusement tombés dans l'oubli. Leur langue maternelle était le serbe et ils travaillaient, pour l’époque, dans des conditions assez favorables. Bien entendu, la traduction n’était pas leur activité principale et aujourd’hui ces traducteurs sont considérés comme les disciples du premier traducteur serbe d’une œuvre écrite, Rastko Nemanjić (saint Sava). Mais, puisque les traductions de ces clers et seigneurs étaient écrites en rédaction serbe du vieux slave, le serbe-slave (comme d’ailleurs la traduction du premier texte sacré Evergetidski tipik (La Constitution de l’Église orthodoxe) effectuée par Rastko Nemanjić (saint Sava), elles n'étaient alors compréhensibles que pour des clercs et quelques seigneurs (Petrović 1995: 19).
C’est pour cette raison-là que nous pouvons considérer que les premières traductions écrites en serbe, ou pour être plus précis, en slave-serbe,[1] ne datent que de la seconde moitié du XVIIIe siècle. C’est la période à laquelle, chez les Serbes, s’actualise la pensée théorique sur la traduction.
Zaharije Orphelin (1726-1785), un des plus grands écrivains serbes du XVIIIe siècle, auteur du Magazine slave-serbe, est le premier écrivain serbe du XVIIIe siècle qui ait écrit sur les problèmes de la traduction.
Le premier traducteur serbe d’une œuvre littéraire est aussi un écrivain. Il s’agit de Pavle Julinac (1731-1785).
Dositej Obradović, né Dimitri Obradović, l’un des « rénovateurs » de la littérature serbe et le plus grand écrivain serbe du XVIIIe et du début du XIXe siècle, est né à Čakovo, une petite ville non loin de Timisoara (ou Temesvar), en 1742. En 1757, adolescent, il s’enfuit de la maison familiale et se réfugie à Novo Hopovo, dans la province de Syrmie (en serbe Srem). Le 17 février, il devient moine sous le nom de Dositej (Dositheus). Mais il a envie de voyager et, pour satisfaire à ce désir, il prend de nouveau la fuite, le 2 novembre 1760.
Il fit de longs séjours dans plusieurs pays d’Europe et surtout dans la capitale de l’Autriche, Vienne, où il fut influencé par la philosophie des Lumières. Il s’intéressait beaucoup à la philosophie et à la littérature, et il apprit le grec, le latin, l’italien, l’allemand, l’anglais, le français. Dositej a visité la France en 1784, plus exactement Strasbourg, Metz, Nancy et, enfin, Paris où il a passé trois merveilleuses semaines. Il a visité le tombeau de son écrivain préféré, Fénelon, à Cambrai.
Après l’insurrection de Karageorges (1804-1813) contre les Turcs, Dositej revient en Serbie et devient premier Ministre serbe de l’Instruction. Il meurt à Belgrade en 1811.
On a souvent dit que Dositej Obradović était le plus grand écrivain serbe de l’époque. Toutefois, Dositej n’était pas seulement un grand écrivain : il s’est aussi présenté aux lecteurs serbes comme traducteur des littératures étrangères, et par conséquent comme traducteur de littérature française. Hormis ces grands écrivains, citons encore quelques traducteurs qui étaient eux-mêmes écrivains : Avram Mrazović (1756-1829), Emanuil Janković (1758-1791), Atanasije Stojković (1773-1823), Grigorije Trlajić (1766-1811), Mojsej Ignatović (1777-1843) Joakim Vujić (1772-1847), Stefan Živković (1780-1831) et d'autres ; et bien entendu, Vuk Karadžić (1787-1864), le grand philologue et réformateur de la langue serbe (croate et bosniaque) (Krstić 2001 : 42-49).
Que traduit-on ?
2.2.2. Quels genres de textes traduit-on ?
Nous avons déjà mentionné qu’à la fin du XIIIe et au XIVe siècle, dans les littératures serbe, croate et bosniaque apparaissent de nombreuses traductions de romans et de contes byzantins: Alexandre, Le roman de Troie, Le tzar Assa, La vie d’Ésope, etc. Mais les traducteurs de ces romans et contes byzantins sont restés, à part Rastko Nemanjić (saint Sava), presque tous anonymes.
Dans la première moitié du XVIIIe siècle, la littérature religieuse représente encore la majeure partie de la production imprimée, mais dans la seconde moitié de ce siècle elle devient minoritaire (Mladenović 1989 : 93).
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, plus précisément en 1776, parut une œuvre intitulée Velizarij. Il s’agit de la traduction du français en russe-slave,[2] langue officielle à l’époque, d’un roman de Marmontel (1723-1799) Bélisaire (1767). Son traducteur est Pavle Julinac. C’est la première traduction d’une œuvre littéraire chez les Serbes. Donc, Pavle Julinac est considéré comme le premier traducteur d’une œuvre littéraire chez les Serbes. Un an plus tôt, en 1775, Julinac avait traduit une partie d’une œuvre sur la morale intitulée Traité des études (1726) de Charles Rollin (1661-1741), humaniste et historien français, recteur de l’Université à Paris.
On a mentionné que Dositej Obradović, le plus grand écrivain serbe de l’époque, était aussi traducteur. Il lisait beaucoup en français: il lisait des journaux français, mais surtout des chefs-d’œuvre de la littérature française. Il savait bien que les traductions des œuvres littéraires contribueraient pour beaucoup au progrès de la culture serbe. Son roman préféré était Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse (1699) et il a influencé les jeunes écrivains serbes, Grigorije Trlajić, Atanasije Stojković et Stefan Živković quant à la traduction de cette œuvre de Fénelon (1651-1715). Dans son chef- d'œuvre Recueil de morale (1793), Dositej a traduit deux contes de Marmontel (1723-1799), Lausus et Lydie et La bergère des Alpes (1761), ainsi qu'un dialogue entre le chevalier Bayard et le connétable de Bourbon (Fénelon, Dialogues des morts, 1712). Dans la deuxième partie de son Recueil de morale, intitulée Le dernier-né (1818), Dositej nous a laissé une traduction d’un conte de Baculard d’Arnaud (1718-1805), Tsou-Y ou le philosophe (1783), et une traduction d’une petite histoire de La Bruyère (1645-1699), Irène (1688) (Krstić 1999a : 132-145).
En écrivant ses Fables, Dositej a été influencé par Ésope (VIIe-VIe s. av. J.-C.), de Phèdre (15 av. J.-C. - 50 après J.-C.), de Lessing (1729-1781) et de La Fontaine (1621-1695). Pour déterminer l’influence de La Fontaine sur Dositej, nous avons fait une analyse comparative et stylistique de la fable Le Lion, le Loup et le Renard de Jean de La Fontaine et de la fable Lav, kurjak i lisica de Dositej Obradović.
Notre analyse a montré que les traductions les plus proches de l’original sont celles des œuvres de Marmontel, surtout la traduction de Lausus et Lydie, tandis que les traductions de Tsou-Y ou le philosophe et d’Irène sont très libres. L’analyse de la fable de La Fontaine Le Lion, le Loup et le Renard et de la fable de Dositej Lav, kurjak i lisica nous a montré que Dositej ne se contentait pas toujours du rôle de traducteur : il ajoute des mots et même des phrases entières qui changent le caractère de la fable de La Fontaine, car Dositej est tout d’abord un grand écrivain (Krstić 1999a : 72-81).
En tant qu'excellent connaisseur de la langue française, de la culture française et de la littérature française, Dositej Obradović enseigna le français à des enfants de familles riches en Italie et en Autriche.
Nous pouvons constater que c’est grâce à lui que la culture française (et européenne) a pénétré dès la fin du XVIIIe siècle dans la culture serbe (Krstić 1999a : 156).
En 1787, Avram Mrazović (1756-1829) imprime à Vienne sa traduction Poučitelnij magazin za decu k preosveščeniju razuma i ispravnjeniju serca ot Gospoži Mari le Prens de Bomont sočinjen a sade slavenoserpske radi junosti s nemeckago na serpskij jezik preveden. Il s’agit de la traduction en slave-serbe de la traduction allemande d’une œuvre de Marie Leprince de Beaumont (1711-1780) intitulée Magasin des enfants ou Dialogues entre une sage gouvernante et ses élèves (1757).
Cette même année 1787, Emanuil Janković (1758-1791) traduit la comédie Les commerçants de l’écrivain italien Carlo Goldoni (1707-1793).
Grigorije Trlajić (1766-1811) était un bon connaisseur de la langue française. Il a traduit le roman de Fénelon Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse, mais sa traduction n’a, hélas, jamais été imprimée. Trlajić, professeur de l’Université de Petrograd, a écrit sa dissertation doctorale en français Mon opinion sur la méthode de traiter l’histoire générale dans un établissement d’éducation publique. En 1801, Grigorije Trlajić publie à Buda[3] sa traduction du russe Numa Pompilius. L’auteur de cette œuvre est l’écrivain russe Mihailo Matjejevitch Herascov (1733-1807) qui était influencé par l’écrivain français Florian (Jean-Pierre Claris de Florian, 1755-1794) et son œuvre Numa Pompilius.[4]
Atanasije Stojković (1773-1823) a, lui aussi, traduit le roman de Fénelon Télémaque, mais sa traduction, comme celle de Trlajić, n’a jamais été imprimée.
En 1801, Mojsej Ignatović (1777-1843) imprime à Buda sa traduction de la traduction russe d’une œuvre française à caractère pédagogique, Agar u pustinji (Agar dans la désert), écrite par la comtesse de Genlis (1746-1830).
En 1805. Joakim Vujić (1772-1847) imprime à Buda Rukovodstvo k francustjej gramaticje vo upotreblenije slaveno-serpskija junosti sočinjeno Joakimom Vujičem. C’est la première grammaire de la langue française écrite pour les Serbes, Croates et Bosniaques.
En conclusion, nous pouvons dire que durant cette période, c’est-à-dire dans la deuxième moitié du XVIIIe et dans la première moitié du XIXe siècle, il existe de nombreuses traductions littéraires, de l’allemand en serbe (croate et bosniaque), de l’anglais en serbe (croate et bosniaque), de l’italien en serbe (croate et bosniaque) et du français en serbe (croate et bosniaque).
À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, les relations culturelles et littéraires entre les Européens et les Serbes, Croates et Bosniaques sont de plus en plus intenses, et l’interêt des Serbes pour les œuvres littéraires européennes est encore plus grand ; nous avons de nombreuses traductions serbes, croates et bosniaques des littérature française, anglaise, allemande, italienne et russe, soit des traductions directes, soit des traductions indirectes.
2.2.3. Citez quelques textes emblématiques traduits à cette époque (s’il y en a), titres et dates.
Jean-François Marmontel, Bélisaire – traduction de Pavle Julinac, Velizarij, 1776 (traduction du texte original).
Jean-François Marmontel, deux contes Lausus et Lydie et La Bergère des Alpes – traduction de Dositej Obradović, Lauzus i Lidija i Adelaida, pastirka alpijska, 1793 (traduction depuis le texte original).
Philip Stanhope Chesterfield, Letters to his Son – traduction de Pavle Solarić, Miroljubac indijski libo iskustvo ščastljivo živiti u družestvu soderžaščese u malenom čislu čistjejši poučenija Naravoslovenija, 1809 (traduction de la traduction française).
François de Salignac de la Mothe Fénelon, Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse – traduction de Stefan Živković, Priključenija Telemaka, sina Uliseva, 1814 (traduction du texte original).
François-Marie Arouet Voltaire, Memnon ou la Sagesse humaine – traduction de Konstantin Pejičić, Memnon ili Mudrost čovečeska, 1827 (traduction du texte original).
François-Marie Arouet Voltaire, Zadig ou la Destinée – traduction de Pavle Berić, Zadig ili Opredelenije, 1828 (traduction de la traduction allemande).
François-Marie Arouet Voltaire, Songe de Platon, traduction de Konstantin
Pejičić, San Platonov, 1828 (traduction du texte original).
François de Marcillac la Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et Maximes morales – 150 maximes traduites par Petar Demelić, 1832 (traduction du texte original).
Alain René Le Sage, Gil Blas de Santillane, traduction de Lazo Zuban, Žil Blaz Santilanac, 1833 (traduction de la traduction allemande).
Pierre Blanchard, Le Plutarque de la jeunesse ou abrégé des vies des plus grands hommes de toutes les nations, traduction-adaptation de Jevtimije.
Ivanović, Novi Plutarh ili kratko opisanije slavnjejši ljudi sviju naroda ot drevnjejši vremena do danas, 1834 (traduction-adaptation de la traduction allemande).
François-Marie Arouet Voltaire, Zaïre, traduction de David Rašić, Volterova Zaira ili zarobljeni Francuzi u krstonosnim vojnama, 1843 (traduction du texte original – il faut mentionner que l’œuvre de Voltaire est écrite en vers, et la traduction de Rašić en prose).
Alexandre Dumas Père, Napoléon Bonaparte ou Trente Ans de l’histoire de France – traduction de Ljubomir Nenadović, Napoleon Bonaparta ili trideset godina iz istorije francuske, 1850 (traduction du texte original).
À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, comme nous l’avons dit, nous avons de nombreuses traductions serbes, croates et bosniaques de la littérature française, anglaise, allemande, italienne et russe, soit des traductions directes, soit des traductions indirectes. Nous allons citer ici quelques textes emblématiques traduits à cette époque :
William Shakespeare, Roméo et Juliette, traduction de Laza Kostić, Romeo i Julija, 1876 (traduction du texte original).
Prosper Mérimée, Colomba, traduction de Milovan Glišić, Kolomba, 1877 (traduction du texte original).
William Shakespeare, Hamlet, traduction de Laza Kostić, Hamlet, 1884 (traduction du texte original).
Alphonse de Lamartine, L’isolement, traduction de Vladimir M. Jovanović, Osama, 1893 (traduction du texte original).
Léon Tolstoï, Guerre et Paix, traduction de Milovan Glišić, Rat i mir, 1899 (traduction du texte original).
Comment traduit-on ?
2.2.4. Quel est, selon l’échelle ci-dessous, le degré d’adaptation des textes étrangers utilisés comme sources à cette époque ? Comment ce degré d’adaptation évolue-t-il avec le temps ?
a. Traduction respectueuse du texte d’origine, présentée comme une traduction et indiquant le nom de l’auteur, le nom du traducteur et la langue d’origine.
b. Traduction prenant des libertés avec le texte d’origine (par ex. traduction partielle, modification des noms propres, ou de certains éléments de l’intrigue ou du cadre spatio-temporel de celle-ci), mais présentée comme une traduction et mentionnant le nom de l’auteur.
c. Traduction ou adaptation présentée comme une traduction mais ne mentionnant pas le nom de l’auteur d’origine.
d. Textes étrangers traduits ou adaptés mais présentés comme des œuvres originales.
Nous avons déjà mentionné qu’à la fin du XIIIe et au XIVe siècle, ont paru dans la littérature serbe de nombreuses traductions de romans et de contes byzantins: Alexandre, Roman de Troie, Le tzar Assa, La vie d’Ésope, etc., mais que seuls des clercs et quelques seigneurs ont lu toutes ces traductions écrites en rédaction serbe du vieux slave, tandis que pour la plupart des Serbes elles étaient incompréhensibles. Concernant le degré d’adaptation de ces textes étrangers, la plupart des traductions de cette époque relèvent de la traduction-adaptation (catégorie c). Presque tous les traducteurs restent anonymes ; seuls quelques textes étrangers (traduits ou adaptés) sont présentés comme des œuvres originales.
Dans la deuxième moitié du XVIIIe et la première moitié du XIXe siècle, la situation concernant le degré d’adaptation des textes étrangers еst différente. Il existe des traductions qui respectent les textes originaux (catégorie a), comme par exemple la traduction de Pavle Julinac, qui a traduit en 1767 du français en russe-slave le roman de Marmontel (1723-1799) Bélisaire, ou les traductions de Dositej Obradović qui a, dans son chef-d’œuvre Recueil de morale (1793), traduit les deux contes de Marmontel Lausus et Lydie et La bergère des Alpes. Il faut aussi mentionner une des meilleures traductions de la première moitié du XIXe siècle : celle de Stefan Živković qui, en 1814, a traduit du français en slave-serbe Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse de Fénelon. Ajoutons aussi les traductions de Konstantin Pejičić, également du français en slave-serbe, qui a traduit, comme on a vu, quelques contes de Voltaire (une partie de Zadig ou la Destinée, 1825, Memnon ou la Sagesse humaine, 1827, Songe de Platon, 1828). Citons encore une excellente traduction : il s’agit de la traduction de Ljubomir Nenadović du français en serbe (1850) du drame d’Alexandre Dumas Napoléon Bonaparte ou Trente Ans de l’histoire de France.
Un grand nombre de traductions est donc, à l’époque, fidèle aux textes originaux (catégorie a).
Bien entendu, nous avons aussi des traductions-adaptations (catégorie b): en 1787, Avram Mrazović (1756-1829) imprime à Vienne sa traduction Poučitelnij magazin za decu k preosveščeniju razuma i ispravnjeniju serca ot Gospoži Mari le Prens de Bomont sočinjen a sade slavenoserpske radi junosti s nemeckago na serpskij jezik preveden. Il s’agit de la traduction en slave-serbe de la traduction allemande d’une œuvre de Marie Leprince de Beaumont (1711-1780) intitulée Magasin des enfants ou Dialogues entre une sage gouvernante et ses élèves (1757).
En 1801, Mojsej Ignatović (1777-1843) imprime à Buda sa traduction de la traduction russe d’une œuvre française, à caractère pédagogique, Agar u pustinji (Agar dans la désert), écrite par la comtesse de Genlis (1746-1830).
En 1809, Jevtimije Ivanović (1773-1849) publie à Buda son livre Novi Plutarh ili kratkoje opisanije slavnjejši ljudi sviju naroda ot drevnjejši vremena do danas. Po Blanšaru i Šileru svobodno preveden i novimi biografijami umnožen Jeftimijem Ivanovičem. Prva čast. C’est une traduction très libre, peut-être même une traduction-adaptation de l’œuvre de Pierre Blanchard (1772-1856), Le Plutarque de la jeunesse ou abrégé des vies des plus grands hommes de toutes les nations (1803).
À l’époque, il se trouve aussi des traductions ou adaptations présentées comme des traductions mais ne mentionnant pas le nom de l’auteur d’origine (catégorie c) :
la traduction de Nikolaj Šimić, en 1806, d’un livre intitulé Aristej i son Acenira. Egipetskaja nravoučitrlnaja povjest taže Stihi o dolžnosti čestnago čelovjeka. Prevod s francuskago na slaveno-serpskij jazik. Le traducteur Nikolaj Šimić affirme qu’il s’agit de sa traduction du français en slave-serbe, mais il n’indique pas quel écrivain français est l’auteur de ce livre; la traduction très libre de Dositej Obradović d’une petite histoire de La Bruyère Irène, publiée dans la seconde partie de son Recueil de Morale, intitulée Le dernier-né (1818).
Concernant les textes étrangers traduits ou adaptés mais présentés comme des œuvres originales, ils ne sont pas nombreux; on pourrait plutôt dire qu’il s’agissait de traductions-adaptations de traductions-adaptations des textes étrangers.
2.2.5. Le degré d’adaptation varie-il en fonction des langues traduites et des types de textes ?
Il est difficile de répondre avec certitude à cette question. Il ne semble pas qu’il y ait de corrélation particulière entre ces facteurs, du moins si l’on reste dans le domaine de la littérature profane. Prenons pour exemple les traductions de Dositej Obradović. Nous avons déjà mentionné que Dositej avait traduit deux contes de Marmontel Lausus et Lydie et La Bergère des Alpes, un dialogue entre le chevalier Bayard et le connétable de Bourbon de Fénelon, un conte de Baculard d’Arnaud (Tsou-Y ou le philosophe), ainsi qu'une traduction d’une petite histoire de La Bruyère, Irène. Notre analyse a montré que les traductions les plus proches de l’original sont celles des œuvres de Marmontel, surtout la traduction de Lausus et Lydie, tandis que les traductions de Tsou-Y ou le philosophe et d’Irène sont très libres (Krstić 1999a : 72-81).
Concernant les traductions de textes religieux, elles sont, dans la plupart des cas, très proches de l’original.
2.2.6. De quelle(s) langue(s) traduit-on ? Pouvez-vous évaluer la part respective des différentes langues dans l’ensemble des traductions ?
La première traduction d’une œuvre littéraire fut, comme nous l'avons mentionné, la traduction de Pavle Julinac d’un roman de Marmontel (Bélisaire - Velizarij, 1776),du français vers le serbe. Ensuite, nous avons de nombreuses traductions du français en slave-serbe durant la première moitié du XIXe siècle, et surtout dans la seconde moitié de ce siècle. Hormis les traductions du français, il se trouve aussi un grand nombre de traductions de l’ allemand (surtout des traductions d'après les traductions allemandes des œuvres françaises), et, dans la seconde moitié du XIXe siècle, du russe. À l’époque, on traduit aussi de l’anglais et de l’italien, mais les traductions de ces langues ne sont pas si nombreuses.
Ce sont donc, à la fin du XVIIIe et dans la première moitié du XIXe siècle, les littératures française et allemande qui dominent dans les traductions, viennent ensuite les littératures italienne et anglaise (les œuvres de Marmontel, de Fénelon, de Carlo Goldoni, de Pierre Blanchard, de Friedrich Von Schiller, de Philip Stanhope Chesterfield, de Voltaire, de Shakespeare, etc.). Dans la seconde moitie du XIXe siècle, la littérature russe occupe une place très importante dans les traductions serbes (croates et bosniaques).
En conclusion, nous pouvons dire que durant la deuxième moitié du XVIIIe et la première moitié du XIXe siècle, on a de nombreuses traductions littéraires, du français en serbe, de l’allemand en serbe, de l’anglais en serbe, de l’italien en serbe, et dans la seconde moitié du XIXe siècle, surtout du russe en serbe.
2.2.7. Traduit-on directement ou via des langues-relais ?
Les ouvrages en allemand et en russe sont toujours traduits directement. On traduit aussi directement du français, même si quelques traductions sont réalisées par l’intermédiaire de l’allemand. Avec l’italien et l’anglais, et dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec le hongrois, c'est la même situation. Les traductions ou adaptations des autres langues (à partir des années 1870), des langues scandinaves, par exemple, sont faites le plus souvent d’après des traductions allemandes ou, parfois, russes.
2.2.8. Trouve-t-on des réflexions et/ou des débats sur la traduction ? Sur quoi portent-ils ?
Les réflexions sur la traduction sont de nature plus linguistique que traductologique. Elles portent d’abord essentiellement sur la façon d’utiliser ou d’adapter la langue serbe pour exprimer des notions dépourvues de désignation, ainsi que sur la qualité de la langue des traducteurs. Nous avons vu que Zaharije Orphelin, un des plus grands écrivains serbes du XVIIIe siècle, fut le premier écrivain serbe du XVIIIe siècle ayant écrit sur les problèmes de la traduction. Mais c’est surtout le plus grand écrivain serbe de l’époque, Dositej Obradović, qui s’est beaucoup intéressé, outre à la philosophie et la littérature, à la traduction; il a appris le grec, le latin, l’italien, l’allemand, l’anglais, le français. Il savait bien que les traductions des œuvres littéraires contribueraient pour beaucoup au progrès de la culture serbe, et il a influencé les jeunes écrivains serbes quant à la traduction des œuvres littéraires. Mais Dositej n’était pas seulement un grand écrivain: il s’est présenté aux lecteurs serbes aussi comme un excellent traducteur des littératures étrangères.
À partir des années 1870, et surtout des années 1880, la critique formule des exigences croissantes concernant les traductions. Laza Kostić (1841-1910), grand poète et écrivain serbe, mais aussi excellent traducteur, notamment de littérature anglaise, a beaucoup contribué au développement de la théorie de la traduction. Il était absolument opposé à la traduction de la traduction d’une œuvre littéraire et à la traduction-adaptation, il réclamait davantage de fidélité à l’original et, bien entendu, la mention du nom de l’auteur du texte original. Le choix des œuvres traduites fait également l’objet de débats : la traduction d’œuvres sans valeur artistique est condamnée par Laza Kostić et ses disciples. Ici nous allons présenter un exemple du type de critique de Laza Kostić concernant une « mauvaise traduction par un traducteur serbe, Nović, de l’Iliade d’Homère : « Ovo je valjda dosad jedinstvena smelost u povesnici ma koje svetske književnosti. Jedan se čovek laća da prevede Omira, pesnika nad svim pesnicima, cara careva duševni, a ovamo taj čovek ne zna pošteno ni sricati onog jezika, kojim je Omir pevao » (Kostić 1867: 520).
Vuk Karadžić, le réformateur de la langue serbe, dans la préface à sa traduction du Nouveau Testament (1847), donne ses idées concernant la traduction. Pour lui, le traducteur doit obligatoirement suivre le texte original et il doit donner une traduction fidèle (Vuk Karadžić 1969: 9).
2.2.9. Certains traducteurs écrivent-ils des préfaces explicitant leur pratique ainsi que le choix des textes qu’ils traduisent ?
Certains traducteurs, comme par exemple Dositej Obradović, Stefan Živković, Ljubomir Nenadović, Vuk Karadžić, écrivent des préfaces où ils expliquent tous les problèmes concernant la traduction d’une langue étrangère; étant donné que la langue serbe ne s’est standardisée qu’à partir des années 1850, ils parlent aussi dans leurs préfaces de l’évolution de la langue serbe.
2.3. Le rôle culturel de la traduction
La traduction et la langue
2.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (existe-t-il une norme unique pour cette langue ? Coexistence éventuelle avec d’autres langues ? )
Jusqu’à la première moitié du XVIIIe siècle, le serbe-slave est la langue officielle des Serbes ; ensuite, le russe-slave remplace le serbe-slave et cette langue est la langue écrite (et officielle) jusqu’à la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, le slave-serbe remplace alors progressivement le russe-slave et devient la langue écrite en usage. Pour la langue slave-serbe, langue formée à partir de plusieurs langues (serbe populaire, russe, russe-slave et serbe-slave), il n’existe pas, surtout vers la fin du XVIIIe siècle, de norme unique.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le serbe contemporain, après la grande réforme de Vuk Karadžić (1787-1864), remplace le slave-serbe (Mladenović 1989 : 75-82).
Les Croates acceptent la réforme de Vuk Karađžić comme réforme de la langue croate.
Jusqu’aux années 1850, le russe, le russe-slave et le slave-serbe sont les langues d’enseignement à l’Université de Belgrade, fondée en 1808 sous le nom de Velika škola (Grande école).
2.3.2. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement de la langue littéraire ?
Jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la traduction ne joue pas un rôle important dans le développement de la langue littéraire. La langue officielle est le russe-slave, rédaction russe du vieux slave. Mais, vers la fin de ce siècle, quand le slave-serbe remplace progressivement le russe-slave et devient la langue écrite, la traduction joue de plus en plus un rôle important dans le développement de la langue littéraire, surtout concernant le lexique (et surtout le lexique français et allemand) qui entre doucement, avec les modifications phonologiques et morphologiques, dans le vocabulaire serbe (slave-serbe). Bien entendu, la traduction de textes juridiques et scientifiques, surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle, permet le développement de vocabulaires spécialisés.
2.3.3. La littérature profane est-elle d’abord originale, traduite/adaptée, ou les deux à la fois ?
La littérature profane est d’abord traduite (en 1776 traduction de Pavle Julinac du roman de Marmontel Bélisaire), puis, quelques années plus tard, apparaissent les œuvres de Dositej Obradović ( Recueil de morale, 1793). Au début du XIXe siècle, les œuvres originales sont plus nombreuses.
La traduction et la société
2.3.4. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement des formes, des genres et des courants littéraires ?
La traduction joue un grand rôle dans le développement des formes, des genres et des courants littéraires. Dositej Obradović, s’intéressait beaucoup à la philosophie et à la littérature, mais aussi à la traduction. Il savait bien que les traductions des œuvres littéraires contribueraient au progrès de la culture serbe. Un des plus grands écrivains de la première moitié du XIXe siècle, Jovan Sterija Popović (1806-1856), créateur de la comédie serbe, auteur de quelques romans et de nombreux drames, s’intéressait, lui aussi, à la traduction. En 1828, il a publié, à Buda, son roman Boj na Kosovu ili Milan Toplica i Zoraida. Il s’agit d’une traduction très libre, ou plutôt d’une traduction-adaptation, appelée en serbe posrba du roman Gonzalve de Cordoue ou Grenade reconquise de l’écrivain français du XVIIIe siècle, Florian (1755-1794). Jovan Sterija Popović ne cache pas qu’il s’agit d'une traduction-adaptation. Bien au contraire, il écrit dans sa préface que cette œuvre a été écrite d’après les idées d’un célèbre écrivain français, Monsieur Florian (Krstić 2008: 105).
2.3.5. Quelle est la finalité principale des traductions ou adaptations (didactique ? politique ? esthétique ?)
Jusque dans les années 1820, la finalité des traductions et des traductions-adaptations est principalement didactique. Il fallait instruire le peuple, c’est-à-dire les lecteurs, et le premier intellectuel serbe qui ait compris cela, était Dositej Obradović. Peu à peu, à partir des années 1840, le divertissement devient une finalité importante. La finalité proprement esthétique se développe ensuite. Il faut signaler qu’on ne note pas particulièrement de finalité politique.
2.3.6. Quels sont les supports de publication et les modes de diffusion des traductions ? Y a-t-il des différences à cet égard avec la littérature originale ?
À partir des années 1825, le support de publication important pour la littérature traduite est la revue Serpske letopisi (Les Annales serbes), qui publie, outre des œuvres originales (récits, contes, fables, etc.), des récits traduits, souvent publiés en feuilleton sur plusieurs numéros. Il faut absolument signaler que cette revue est la plus ancienne revue chez les Serbes; il faut signaler aussi que dans le premier numéro de cette revue, publiée à Buda en 1825, se trouve une traduction intitulée Zagonetka Volterova (L’énigme de Voltaire). Il s’agit d’une énigme se trouvant dans le roman Zadig ou la Destinée.
La première librairie qui vende des livres est fondée en 1790 à Novi Sad.[3] Cette librairie vendait en premier lieu uniquement des livres en allemand et en français, mais peu à peu la diffusion des livres en russe, anglais, italien s’améliora. Bientôt, les librairies des autres villes suivirent son exemple.
La frontière entre la littérature originale et la littérature traduite n’était alors pas nettement marquée.
2.3.7. Quel est le public des traductions ? Est-il différent du public de la littérature originale ?
Nous avons mentionné qu’à l’époque la frontière entre littérature originale et littérature traduite n’était pas nettement marquée; le public était donc le même puisque les deux littératures ne se distinguaient pas nettement l’une de l’autre.
2.3.8. Réception critique des traductions ?
Nous avons vu à plusieurs reprises que Zaharije Orphelin fut le premier écrivain serbe du XVIIIe siècle à écrire sur les problèmes de la traduction. Nous avons vu aussi que Dositej Obradović s’intéressait beaucoup à la traduction. Il est toutefois possible de considérer que la critique de la traduction, en tant que branche de la théorie de la traduction, commence à partir des années 1870, et surtout des années 1880. Laza Kostić, poète et écrivain serbe, mais aussi excellent traducteur, a beaucoup contribué au développement de la théorie de la traduction. Il était absolument opposé à la traduction de la traduction d’une œuvre littéraire, et surtout à la traduction-adaptation. Pour lui, le traducteur doit donner une traduction fidèle au texte d’origine.
À la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, le plus grand théoricien de la littérature et de la critique de la traduction était Bogdan Popović (1863-1944). Il publia plusieurs ouvrages concernant la traduction et la critique de la traduction (Skerlić 1953: 457-460).
2.3.9. Qui prend en général l’initiative des traductions (traducteurs ? éditeurs ? libraires ? mécènes ? pouvoir politique ou religieux ?)
L’initiative des traductions est prise, dans la plupart des cas, par les traducteurs eux-mêmes, quelquefois aussi par les éditeurs. Il n’y a pas de mécènes et les autorités religieuses ou politiques ne publient pas d’ouvrages littéraires en serbe.
2.3.10. Existe-t-il une censure visant spécifiquement des traductions ?
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il existait une censure visant les traductions des écrivains français (Marmontel, Voltaire) qui critiquaient l’Église catholique dans leurs ouvrages. Par exemple, dans la traduction de Pavle Julinac Velizarij (le Bélisaire de Marmontel), le chapitre IX, dans lequel Marmontel critiquait l’église catholique a été censuré. Cependant, il n’existait pas de censure visant spécifiquement les traductions.
2.3.11. Les modalités d’exercice de la traduction sont-elles influencées par les identités nationales, sociales, etc. (choix des textes, mode de traduire, langue de la traduction) ?
Dositej Obradović savait bien que les traductions des œuvres littéraires contribueraient beaucoup au progrès des cultures serbe, croate et bosniaque; notamment les traductions de la littérature française, qui était pour lui, à l’époque, le symbole de la culture européenne. Au XIXe siècle, les plus grands écrivains et traducteurs étaient influencés par les cultures allemande, anglaise, italienne, russe, mais surtout par la culture française.
2.3.12. Des traductions ont-elles joué un rôle dans l'évolution des idées et de la société ?
Des traductions, surtout des traductions des œuvres littéraires, ont joué un grand rôle dans l'évolution des idées et de la société serbe, croate et bosniaque.
[1] Langue littéraire serbe dans la deuxième moitié du XVIIIe et dans la première moitié du XIXe siècle avec les éléments des langues suivantes : serbe populaire, russe, russe-slave et serbe-slave.
[2] Rédaction russe du vieux slave.
[3] Partie haute de Budapest (capitale de la Hongrie), sur la rive droite du Danube.
[4] Deuxième roi légendaire de Rome (715-672. av. J.-C.) Il aurait organisé la religion romaine.
SOURCES
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Karadžić, Vuk (1969) Dela Vuka Karadžića, Novi Zavjet, Prosveta, Beograd.
Kostić, Laza (1867) Omir učitelj, Srpski letopis, Novi Sad, pp. 508-521.
Krstić, Nenad (1999) Francuska književnost u srpskim prevodima, Svetovi, Novi Sad.
Krstić, Nenad (2001) La contrastive et la traduction. Le français et le serbe: les ressemblances et les différences, Vedes, Belgrade.
Krstić, Nenad (2003) « Analyse philologique d'une traduction serbe du Télémaque » in Les Aventures de Télémaque – trois siècles d’enseignement du français, Actes du Colloque organisé à Bologne du 12 au 14 juin 2003, Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, Seconde partie, SIHFLES, N. 31 : 70-77, Décembre, Bologne.
Krstić, Nenad (2008) Francuski i srpski u kontaktu – struktura proste rečenice i prevođenje, Izdavačka knjižarnica Zorana Stojanovića, Sremski Karlovci – Novi Sad.
Mladenović, Aleksandar (1989) Slavenosrpski jezik. Studije i članci, Književna zajednica Novog sada i Dečje novine iz Gornjeg Milanovca, Novi Sad.
Obradović, Dositej (1911) Sabrana dela, Peto državno izdanje, Beograd.
Petrović, Miodrag M. (1995) Pomen bogumila - babuna u zakonopravilu svetoga Save i "Crkva bosanska", Naučna knjiga, Beograd.
Rajić, Ljubomir (1981) Teorija i poetika prevođenja, Naučna knjiga, Beograd.
Sibinović, Miodrag (1990) Novi original. Uvod u prevođenje, Naučna knjiga, Beograd.
Skerlić, Jovan (1953) Istorija nove srpskre književnosti, Rad, Beograd.