Auteur : Nenad Krstić

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5.1. Date d’apparition des premières œuvres imprimées ?

En 1494. apparaît la première oeuvre imprimée chez le Serbes. Il s’ agit d’un livre ecclésiastique Oktoih prvogasnik écrit en rédaction serbe du vieux slave, le serbe-slave.

5.2. Date d’apparition de la première imprimerie dans le pays ?

La première imprimerie apparaît à Cetinje (aujourd’hui ville du Monténégro) en 1494.

5.3. Date d’apparition (éventuellement de disparition et de réapparition) de l’État-nation ?

Le royaume serbe est fondé au XIe siècle, plus exactement en 1077. Mais ce royaume disloque dès la fin du XIIe siècle. Au XIVe siècle, en 1346, un empire est fondé par Stefan Dušan. Après la mort de Stefan Dušan, cet empire disparait sous l'invasion turque. Entre 1459 et 1804, la Serbie fait partie de l'empire ottoman. Elle subit trois invasions autrichiennes durant cette période. Une première révolte, entre 1804 et 1813, menée par Ðorde Petrovic (alias Karađorđe), puis une seconde en 1815, résultent en la création d'une principauté de Serbie semi-indépendante des Ottomans. En 1878, par le traité de Berlin, la Serbie devient indépendante. Après la Première Guerre mondiale, en 1818, la Serbie est incluse dans la première Yougoslavie, sous le nom de Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Après la Seconde Guerre mondiale, en 1945, la Serbie est incluse dans la nouvelle Yougoslavie communiste de Tito. Après la mort de Tito, en 1980, cet état, la seconde Yougoslavie, survit jusqu'au 15 janvier 1992, lorsque quatre de ses six républiques fédérées firent sécession : la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine. La troisième Yougoslavie fut formée en 1992 sous le nom de République de Yougoslavie (État fédéral sur le territoire de la Serbie, comprenant les territoires de Voïvodine et du Kosovo, et du Monténégro). En 2003, le 4 février, le nom Yougoslavie est abandonné et le pays est baptisé Communauté d’États Serbie-et-Monténégro. Suite à l'indépendance du Monténégro, le 3 juin 2006, cet état fut dissout à son tour. Deux jours plus tard, le 5. juin 2006, la Serbie proclame son indépendance.

 

5.4. Date d’apparition de l’enseignement secondaire et supérieur dans votre langue ?

Le serbe-slave était la langue écrite officielle des Serbes jusqu’à la première moitié du XVIIIe siècle, ou plus exactement jusqu’en 1726, lorsqu'est ouverte l’Ecole des Slaves à Sremski Karlovci, sous la direction d’un professeur russe, Maxime Suvorov. C'est à cette date (1726), que le russe-slave remplace le serbe-slave et devient la langue écrite officielle des Serbes. Bien entendu, le russe-slave, qui était la rédaction russe du vieux slave, était incompréhensible pour la plupart des Serbes, excepté des clercs et quelques seigneurs, qui parlaient le serbe populaire. La première école du cycle secondaire en russe-slave fut donc créée en 1726 à Sremski Karlovci, mais la première école du cycle secondaire en langue serbe fut créée en 1833 à Kragujevac sous le nom de Prva kragujevačka gimnazija (Premier lycée de Kragujevac).

En 1808, à Belgrade, est ouverte la Velika škola (Grande école). Cette date est considérée comme date officielle de la naissance de l’Université en Serbie ; bien entendu, le serbe devient langue d’enseignement.

La plus ancienne université de l’ex-Yougoslavie est cependant l’Université de Zadar (Croatie), fondée en 1396. En 1699 est fondée l’Université de Zagreb.

 

5.5. Période à laquelle apparaît une presse écrite stable ?

Le premier journal stable fut l’hebdomadaire Slaveno-serbski magazin (Magazine slave-serbe), fondé à Vienne en 1768 par Zaharije Orphelin, l'un des plus grands écrivains serbes de l’époque. Le premier quotidien stable fut Novine serbske (Le journal serbe), fondé à Vienne en 1833 par deux étudiants en médecine, Dimitrije Davidivić et Dimitrije Frušić.

 

5.6. Date d’apparition des premières revues littéraires stables ?

La première revue littéraire stable fut la revue Serpske letopisi (Les annales serbes), créée en 1824 et qui existe encore aujourd’hui. Il faut signaler que cette revue est la plus ancienne chez les Serbes ; il faut signaler aussi que dans le premier numéro de la revue Serpske letopisi, publiée à Buda en 1825, on trouve une traduction intitulée Zagonetka Volterova (L’énigme de Voltaire). Il s’agit d’une énigme qui se trouve dans l’œuvre de Voltaire Zadig ou la Destinée.

 

5.7. Date d’apparition des premières maisons d’édition ?

La première maison d’édition fut Matica srpska, créée en 1826 à Pest (aujourd'hui Budapest). Cette édition publie chaque année, à partir de 1826, la célèbre revue Serpske letopisi (Les annales serbes). Bien entendu, Matica srpska existe encore aujourd’hui. Elle se trouve dans la ville de Novi Sad, en Voïvodine, au nord de la Serbie.

 

5.8. Date d’apparition de la première organisation rassemblant les écrivains ?L’ Association des écrivains de Serbie (Udruženje književnika Srbije) fut fondée le 26. mai 1905. Avant cela, vers la fin du XIXe siècle, en 1883, une organisation rassemblant les écrivains fut fondée, l'Association pour l’Art (Društvo za umetnost). Cette association ne regroupait pas uniquement des écrivains; elle regroupait aussi des artistes. En 1892 elle fut transformée en Communauté littéraire et artistique (Književno-umetnička zajednica), qui devint elle-même l'Association des écrivains et artistes serbes (Društvo srpskih kniževnika i umetnika) en 1902. Cette dernière fut ensuite transformée en Association des écrivains de Serbie (Udruženje književnika Srbije) en 1905. Cette association existe encore aujourd’hui.

En Croatie, vers la fin du XIXe siècle, plus exactement en 1897, fut fondée aussi une organisation rassemblant les écrivains, mais aussi les autres artistes: l'Association des artistes croates (Društvo hrvatskih umjetnika). En 1945 l’Association change de nom pour devenir l'Association des écrivains de Croatie (Društvo književnika Hrvatske), enfin, en 1990, elle reprend son nom précédent : Association des artistes croates (Društvo hrvatskih umjetnika).

 

5.9. Date d’apparition de la première organisation rassemblant les traducteurs ?

La première organisation rassemblant les traducteurs fut fondée en 1951 à Belgrade sous le nom d'Association des traducteurs littéraires de Serbie (Udruženje književnih prevodilaca Srbije), et en 1953, à Zagreb, fut fondée l’Association des traducteurs littéraires croates (Društvo hrvatskih književnih prevodilaca).

 

5.10. À quelle époque apparaissent dans votre langue les termes signifiant « traduction », « traducteur », « traductrice » (si le féminin a un sens dans votre langue), « traduire » ?

Le mot signifiant le substantif traduction est le substantif prevod. Les mots signifiant le verbe traduire sont les verbes prevesti (aspect perfectif) et le verbe prevoditi (aspect imperfectif), tandis que le terme qui signifie traducteur est le substantif prevodilac. Le nom féminin prevoditeljka (traductrice) est rarement utilisé. Ces mots viennent du russe - du substantif perevod (traduction) et du verbe perevoditi (traduire). Les écrivains serbes de la seconde moitié du XVIIIe siècle utilisent ces termes, surtout Dositej Obradović dans son Recueil de morale (1893). On trouve ces mots aussi dans le Dictionnaire serbe de Vuk Karadžić publié en 1818.

 

5.11. De quand datent les premiers traités de traduction (textes énonçant des règles prescriptives en matière de traduction) ?

On a vu à plusieurs reprises que Zaharijе Orphеlin fut lе prеmiеr écrivain sеrbе du XVIIIе sièclе à écrire sur lеs problèmеs dе la traduction. On a vu aussi quе lе plus grand écrivain sеrbе à l’époquе, Dositеj Obradović, s’intéressait beaucoup à la traduction. Mais on peut considérer que la critique dе la traduction, en tant que branche dе la théorie dе la traduction, commеnce à partir des années 1870. Laza Kostić, grand poète еt écrivain serbe, mais aussi excellent traducteur, a beaucoup contribué au développement dе la théorie dе la traduction. Il était absolument opposé à la traduction dе la traduction d’une œuvre littéraire, et il a condamné la traduction d’œuvres sans valeur artistique. Selon lui, le traductеur doit donnеr unе traduction fidèle au texte d’origine (Kostić 1867: 520).

Donc, les premiers traités de traduction apparaissent dans les années 1870.

Lе plus grand théoriciеn dе la littérature еt dе la critique dе la traduction vers la fin du XIXе еt dans la première moitié du XXе siècle était Bogdan Popović (1863-1944). Il a publié plusieurs ouvragеs concernant la traduction еt la critique dе la traduction (Skеrlić 1953: 457-460).

 

5.12. Comment évolue au fil du temps la part de la littérature traduite (présentée comme traduction) dans l’ensemble des publications littéraires (par comparaison avec la littérature originale) ?

À la fin du XIIIe siècle et au XIVe siècle, dans les littératures serbe, croate et bosniaque ont paru de nombreuses traductions de romans et de contes byzantins: Alexandre, Le roman de Troie, Le tzar Assa, La vie d’Ésope, etc. Seuls des clercs et quelques seigneurs ont lu toutes ces traductions écrites en rédaction serbe du vieux slave, tandis que pour la plupart des Serbes, Croates et Bosniaques elles étaient incompréhensibles. Concernant le degré d’adaptation de ces textes étrangers, la plupart des traductions de cette époque relèvent de la traduction-adaptation. Presque tous les traducteurs restent anonymes.

Dans la seconde moitié du XVIIIe et surtout dans la première moitié du XIXe siècle, la situation concernant le degré d’adaptation des textes étrangers еst différente. Les traductions respectent les textes originaux, comme par exemple la traduction de Pavle Julinac qui a traduit en 1767 du français en russe-slave le roman de Marmontel (1723-1799) Bélisaire ou les traductions de Dositej Obradović qui a, dans son chef-d’œuvre Recueil de morale (1793), traduit deux contes de Marmontel Lausus et Lydie et La bergère des Alpes. Il faut aussi mentionner une des meilleures traductions de la première moitié du XIXe siècle: celle de Stefan Živković qui a, en 1814, traduit du français en slave-serbe Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse de Fénelon. Ajoutons aussi les traductions de Konstantin Pejičić, également du français vers le slave-serbe, qui a traduit quelques contes de Voltaire (une partie de Zadig ou la Destinée, 1825, Memnon ou la Sagesse humaine, 1827, Songe de Platon, 1828). Citons encore une excellente traduction: il s’agit de la traduction de Ljubomir Nenadović du français en serbe (1850) du drame d’Alexandre Dumas Napoléon Bonaparte ou Trente Ans de l’histoire de France.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les textes traduits chez les Serbes, Croates et Bosniaques occupent une assez grande place. Un grand nombre de traductions reste fidèle aux textes originaux, et ces traductions occupent une place importante dans l’ensemble des publications littéraires.

Dans la première moitié du XXe siècle, la part de la littérature traduite dans l’ensemble des publications littéraires est de plus en plus importante. Dans la seconde moitié du XXe siècle, elle devient part intégrante de la culture nationale.

 

5.13. Y a-t-il des époques où la traduction de certaines langues étrangères est inutile ?

Non.

 

5.14. Pouvez-vous citer quelques traducteurs remarquables par l’ampleur, l’originalité ou le retentissement de leur œuvre ? Caractérisez-les brièvement.

En 1776 parut une œuvre intitulée Velizarij. Il s’agit de la traduction du français en russe-slave,6 langue officielle de l’époque, du roman de Marmontel (1723-1799) Bélisaire (1767). Le traducteur est Pavle Julinac. C’est la première traduction d’une œuvre littéraire chez les Serbes. Il s’agit d’une traduction très proche de l’original. Pavle Julinac est donc considéré comme le premier traducteur d’une œuvre littéraire chez les Serbes, Croates et Bosniaques.

Dositej Obradović, le plus grand écrivain serbe de son époque, était aussi traducteur. Dans son chef-d’œuvre Recueil de morale (1793), Dositej a traduit deux contes de Marmontel (1723-1799), Lausus et Lydie et La bergère des Alpes (1761), ainsi qu'un dialogue entre le chevalier Bayard et le connétable de Bourbon (issu de Fénelon, Dialogues des morts, 1712). Dans la deuxième partie de son Recueil de morale, intitulée « Le dernier-né » (1818), Dositej nous a laissé une traduction d’un conte de Baculard d’Arnaud (1718-1805), Tsou-Y ou le philosophe (1783), et la traduction d’une petite histoire de La Bruyère (1645-1699), Irène (1688). « Les analyses comparatives ont démontré que Dositej Obradović était un excellent connaisseur de la langue française; mais, soucieux de s’adresser à un large public, il ne se contentait pas toujours du rôle de traducteur : alors il ajoute des mots et des phrases entières qui modifient souvent les caractères des contes originaux » (Krstić 1999a : 156).

En 1814 Stefan Živković a publié sa traduction du français en slave-serbe Priključenija Telemaka, sina Uliseva. Il s’agit de la traduction du roman Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse de Fénelon. C’est une des meilleures traductions de la première moitié du XIXe siècle.

En 1850 Ljubomir Nenadović, écrivain et traducteur, traduit du français en serbe le drame d’Alexandre Dumas Napoléon Bonaparte ou Trente Ans de l’histoire de France. Il s’agit d’une très bonne traduction.

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, il y existe un nombre considérable de textes traduits. Nous allons citer ici quelques traducteurs remarquables par l’ampleur, l’originalité ou le retentissement de leur œuvre à cette époque :

En 1860, le grand poète et traducteur, Jovan Jovanović-Zmaj, a traduit le poème épique János vitéz (Jean le Preux) de Petöfi Sándor. Sa traduction Vitez Jovan est considérée comme une très bonne traduction, compte tenu du fait qu’il s’agit d’un poème épique.

En 1876, Laza Kostić, écrivain, poète, traducteur et théoricien, a publié une excellente traduction de Roméo et Juliette de William Shakespeare ; grâce à cette traduction (Romeo i Julija), les Serbes, Croates et Bosniaques on pu lire l’œuvre de ce grand poète anglais.

En 1884 Laza Kostić a publié encore une traduction de William Shakespeare : Hamlet.

En 1899, Milovan Glišić, écrivain et traducteur, a publié sa traduction du chef-d’œuvre de Léon Tolstoï, Guerre еt Paix ; cette traduction dе Glišić Rat i mir est la première traduction en serbe de ce roman de Tolstoï.

Durant le XXe siècle, et surtout dans sa seconde moitié, il y a un grand nombre de traductions littéraires. Nous allons citer quelques remarquables traductions :

En 1948 Isidora Sekulić, écrivaine et traductrice, a publié sa traduction Stradanja mladog Vertera ; il s’agit d’une excellente traduction de l’allemand en serbe de l’œuvre de Johann Wolfgang von Goethe, Les Souffrances du jeune Werther.

En 1950, Stanislav Vinaver, écrivain et traducteur, publie la traduction du chef-d’œuvre de François Rabelais, Gargantua et Pantagruel. Concernant la valeur de cette traduction, la critique est partagée, même aujourd’hui : les uns prétendent qu’ il s’agit d’une très bonne traduction qui a enrichi la langue serbe, surtout son vocabulaire et les autres que c’est une traduction très libre.

En 1960, Dušan Milačić, professeur et traducteur, et ses collègues traducteurs, ont publié la traduction de l’œuvre immense d’Honoré de Balzac, Ljudska komedija (La comédie humaine).

En 1983, Živojin Živojnović, professeur et traducteur, a publié sa traduction U traganju za iščezlim vremenom; il s’agit d’une excellente traduction de l’œuvre de Marcel Proust A la recherche du temps perdu. Cette traduction a reçu de nombreux prix.

 

5.15. Y a-t-il des écrivains reconnus comme faisant partie du canon littéraire bien qu'ils aient écrit dans une langue étrangère et soient connus dans leur propre pays par la traduction ? Des textes traduits ont-ils été intégrés à la littérature nationale (Conrad par exemple, ou Potocki) ?

Pas spécialement. On peut mentionner peut-être le grand intellectuel serbe et professeur de l’Université de Petrograd, Grigorije Trlajić (1766-1811), qui était un excellent connaisseur de la langue française. Trlajić a écrit sa dissertation doctorale Mon opinion sur la méthode de traiter l’histoire générale dans un établissement d’éducation publique en français. Tout en ayant certaines valeurs artistiques, cette œuvre est tout d’abord une œuvre didactique.