Auteur : Hélène Lenz
3.1. CADRE GÉNÉRAL INTRODUCTIF.
Vers 1848, la traduction est l’objet de projets et débats. Mihail Kogălniceanu (1817-1891) historien, homme politique, quatrième premier ministre du pays après 1863 prend position contre l’imitation de modèles étrangers dans une formule aujourd’hui historique : « les traductions ne font pas une littérature. » (Ciopraga, 1975 : 298). À l’inverse, l’activité de promotion des traductions orchestrée par Ion Heliade Rădulescu (1802-1872)[1] entre 1830 et 1840 est à l’origine d’une « synchronisation »[2] souhaitée avec le romantisme esthétique, littéraire des pays occidentaux (Malița, 2008 :170).
3.1.1 À quel moment apparaît dans votre littérature la quête de modernité incarnée par les avant-gardes littéraires ?
À la fin du XIXe siècle, de jeunes auteurs adeptes d’un symbolisme tardif anticipent les avant-gardes d’Occident. Tudor Arghezi (1880-1967), contemporain de Valéry et de Rilke, est déjà influencé par le symbolisme. De même, Tristan Tzara (1896-1963), initiateur de Dada à Zürich, commence par être symboliste aux côtés de Adrian Maniu, Emil Isac, Ion Vinea (1895-1963) lui aussi traducteur, tous co-fondateurs de la revue Simbolul (1912).
3.2. LA PRATIQUE DE LA TRADUCTION
Qui traduit ?
3.2.1. Qui sont les traducteurs ? (Origine sociale, formation, langue maternelle, statut social, conditions de travail et de rémunération ? Sont-ils reconnus en tant que traducteurs, s’agit-il de leur activité principale ? Etc.)
Selon le découpage opéré dans les périodes pré-modernes, selon les régions (Transylvanie, Valachie, Moldavie), selon que l’activité s’exerce ou non dans la capitale, on distingue de nombreux cas de figures de polyglottes traducteurs. L’activité est rarement « pure » et principale : elle se définit plutôt comme une fonction supplémentaire de l’activité lettrée. Les traducteurs roumains sont en tout cas assez nombreux pour qu’une revue universitaire consacre aujourd’hui, dans ses parutions bi-annuelles, une rubrique aux « Portraits de traducteurs » (Voir « Atelier de Traduction » de l’Université de Suceava, n°1 : 2004, n°14 : 2010). De même, le volume I du Repertoriul traducătorilor români de limbă franceză, italiană, spaniolă, secolele al XVIII-lea si al XIX-lea [Répertoire des traducteurs de langue française, italienne, espagnole, XVIIIe siècle et XIXe siècle] publié à l’Université de Timișoara, compte plus de 300 p. (Lungu-Badea, 2006 : 1-349).
À l’époque de Mihail Kogălniceanu, les personnes impliquées dans l’activité de traduction, vue comme activité d’intérêt public sont au nombre de 300. Deux tiers des traducteurs sont des « prosélytes culturels », traducteurs d’un seul livre. Le professionnalisme n’est donc pas la règle (Lungu-Badea, 2007 :165). Certains ont une activité prodigieuse. Ainsi I.S. Spartali (1850-1908) « traducteur pressé » (traducător grăbit) a fait connaître au grand public environ 150 auteurs (dont Baudelaire, Byron, Flaubert, Hugo, Poe, Shelley, Maupassant). Projetant au départ de « maintenir le contact avec l’actualité européenne, les grandes personnalités de la littérature universelle » il a surtout traduit des feuilletons. La principale qualité de son travail était l’accessibilité d’une écriture fluide, attractive. Mais « sa grande productivité est l’indice d’une exaltation qui a diminué la qualité artistique de ses réalisations » (Lungu-Badea, 2008 :39-40).
Après la première guerre mondiale, une fois réalisé l’Etat roumain unitaire englobant la Transylvanie, des revues (Gândirea [La Pensée] publiée d’abord à Cluj) s’intéressent aux minorités (allemandes, hongroises) de la nouvelle province. Parutions allemandes et hongroises sont régulièrement recensées (Crohmălniceanu, 1978 :62). Plusieurs traducteurs font preuve de compétences en langue/littérature allemande, acquises au cours d’études universitaires à Vienne, capitale austro-hongroise (Lucian Blaga, Nichifor Crainic) ou par leur naissance et éducation dans une zone de culture bi- ou trilingue. Toutefois, des traductions de l’allemand (Heine, Schiller) paraissaient déjà vers 1850 dans Albina Pindului [L’abeille du Pinde] (Jutrin, 2009 : 65).
Aux alentours de la première guerre mondiale, un « franc-tireur » (Crohmălniceanu, 1978 : 212-225) le poète romancier : H. Bonciu (1893-Iași- 1950-Bucarest) publie des souvenirs, portraits, interviews recueillis entre 1917 et 1921 dans les cercles littéraires viennois.[3] Ses premiers vers ont paru entre 1915 et 1916 dans Viitorul. Rampa publiera en 1920 trente sonnets de Anton Wildgans dans une adaptation à laquelle il a travaillé dix ans (Poemele către Ead [Poèmes à Ead]). Seul expressionniste roumain déclaré, H. Bonciu a rédigé six volumes de poésie et prose, publiés entre 1932 et 1945, mais surtout des traductions de contemporains allemands/autrichiens passés par une phase d’expressionnisme. Initialement publiés dans Rampa, Adevărul literar şi artistic, elles seront rééditées en volumes. Lada cu năluci [La malle aux fantômes], 1932 contient des poèmes de Rilke, Baudelaire, Richard von Schaukal, A.H. Klabund, Erich Muhsam, Ady Endre, Alfons Petzold, Karl Spitteler. Sa traduction de Franz Werfel : Pensiunea doamnei Pipersberg [La pension de Madame Pipersberg] (București, 1935) sera rééditée en 1984 (édition et préface de Mioara Apolzan) avec des dessins de Egon Schiele, Erich Ohser, Georg Grozs, J. Perahim, Rudolf Grossmann. Si un mouvement expressionniste décisif pour la double polarisation : traditionalisme/ modernisme s’est manifesté (Crohmălniceanu, 1978 : 57-212), des traductions dont celles de H. Bonciu auront joué un rôle dans l’émergence du courant en Roumanie.
Que traduit-on ?
3.2.2. Quels genres de textes traduit-on ?
Les traductions roumaines du XIXe siècle sont diverses, mais l’influence française culmine à cette époque. Les traducteurs veulent s’aligner sur les « cultures majeures de l’Europe ». Ils trouvent dans les « ouvrages français déjà entrés dans la circulation mondiale par le biais de leur traduction en diverses langues » l’occasion de « récupérer époques et évènements non vécus » (Obrocea, 2008 : 224-225). La traduction du XIXe siècle est liée à la modernisation des Principautés, à l’enseignement en roumain, à l’émancipation de la nation roumaine. L’effort de création d’une terminologie scientifique se poursuit dans et par les traductions (Obrocea, 2008 :231)
Entre autres ouvrages français utilitaires, on traduit de la vulgarisation :
- des (manuels de ?) mathématiques. Probleme de aritmetică şi geometrie [Problèmes d’arithmétique et géométrie] de V. Arnoux, traduction de Th. Nicolescu (Craiova, 1893). Elemente de aritmetică [Éléments d’arithmétique] de Etienne Bezout, traduction de Gheorghe Pop (București, 1852).
-des ouvrages élémentaires de droit, économie, médecine. Elemente de drept international privat sau conflictul legilor [Éléments de droit international privé ou le conflit des lois] de T.M.C. Asser et Alphonse Rivier, traduction de G. Schina (București, 1889). Tractatu elementariu de economie politică [Traité élémentaire d’économie politique] d’A. Blanqui, traduction de T. Serghiescu (Tipografia Bisericească din Sfânta Mitropolie, București, 1855). Manual practic de medicină legală [Manuel pratique de médecine légale] de Henri Bayard, édition traduite et augmentée par Ștefan Georgescu (Tipografia A.Bermann, Posesor/ Propriétaire I. Codreanu, Iași, 1871).
-de la géographie, des traités de philologie, de linguistique appliquée à l’apprentissage du français, des ouvrages militaires. Elemente de cosmograhie [Eléments de cosmographie] de J. J. Blignières, Ducros de Sixt Demoyencourt, Ainé Lecler, traduction de N.Denciu, Bucarest, 1880.
Metodul practicu spre a înveţa cu înlesnire ţi grabire limba francesa [Méthode pratique pour apprendre le français facilement et vite], traduction de Theodore Codrescu, Iași, 1867.
Studiu asupra tacticei focurilor infanteriei [Étude sur la tactique des feux d’infanterie], de A.D. Bavay, traduction du Lieutenant G. A. Cristodulo, București, 1887.
Conferţine militare asupra tacticei [Conférences militaires sur la tactique] de A. Blanc, traduction du Major S. G. Burillianu, București, 1880.
- des traités d’éducation morale, civique, de savoir-vivre, parus fin XIXe.
Femeea şi educaţiunea [La femme et l’éducation] de Caroline de Barrau, traduit par Euphrosina C. Hommoriceanu, Bucarest, 1972.
Politeţa şi eticheta [La politesse et l’étiquette] de la Comtesse de Banville, traduit par ? ? 1880.
Stapânul şi sluga sau purtarea lor între dânsi [Maître et serviteur : règles de comportement] de Mme Bezout, traduit par N. Rudeanu, Sibiu, 1836 (Obrocea, 2008 :225-226).
Vers le milieu du XIXe siècle, on traduit 60 auteurs littéraires français majeurs : Rabelais, Racine, Molière, Voltaire, Chateaubriand, Balzac, Lamartine, Hugo, Musset, Mme de Staël, André Chénier, Bernardin de Saint-Pierre, Théophile Gautier, Baudelaire, Maupassant, Flaubert et des romanciers de grande diffusion tels Alexandre Dumas, Alexandre Dumas fils puis Jules Verne, Pierre Loti etc. ( jusqu’à Eugène Sue et Ponson du Terrail).
Au milieu du XIXe, on aborde la poésie contemporaine allemande, italienne, anglaise (lakistes), française. Ces initiatives sont proches des choix ratifiés par l’historiographie littéraire contemporaine. Gr. Alexandrescu a traduit Byron dès 1832. En 1833, Ion Heliade Rădulescu inaugure une série de traductions de Byron en trois volumes. Les traductions de Lamartine (Méditations) par I. H Rădulescu « comptent parmi les plus anciennes d’Europe, à part trois versions allemandes, une anglaise, une polonaise antérieures à 1830 ». En 1848, quarante-trois poèmes de Lamartine ont déjà été transposés en roumain par dix-sept traducteurs (Ciopraga, 1975 : 298).
On transpose de la paralittérature. Des « Mystères » sont publiés en traductions anonymes : productions locales colportées par les libraires (succès commercial assuré). Cette littérature, dite de « colportage », entérine ou parfois introduit une fascination pour les mœurs des grandes capitales d’Occident. Entre 1853 et 1857 paraissent les séries : Misterele Parisului [Les Mystères de Paris] d’Eugène Sue (trad. anonyme, 1853) ; Misterele ţintirimului Per Laşez [Les Mystères du Père Lachaise] (trad. Smaranda N.Atanasiu, Galați, 1853), Misterele inchiziţiei [Les Mystères de l’Inquisition] de V. de Féréal, (trad. de P.M.Georgescu, București, 1855) ; Misterele Londrei [Les Mystères de Londres] de Paul Féval, (trad. I. G Valentineanu, București, 1857) - 2 volumes chacun- (Ciopraga, 1975 : 319).
Après 1919, en Transylvanie, région désormais rattachée à la Roumanie suite à la signature du Traité de Versailles, les revues roumaines assurant une information régulière sur les parutions allemandes et autrichiennes (Universul literar, Gândirea, Rampa, Contimporanul) diffusent des critiques en relation avec la modernité germanique. (voir réponse en 3.2.1). S’il n’est pas question (manque de moyens financiers, contraintes politiques ?) de publier les romans de Heinrich Mann, Edschmid, Döblin, Leonhard Frank, Max Brod ou Kafka présentés par compte-rendus, la poésie expressionniste allemande est traduite. « Le premier numéro de Gândirea contient une poésie d’Alfred Mombert, Plimbare [Promenade] traduite par Lucian Blaga[4]. Dans Rampa sont publiés tour à tour, à partir de 1920 presque tous les Sonetele către Ead [Sonnets à Ead (sic)] de Anton Wildgans[5]. Leur traducteur, H. Bonciu donne dans les pages de la même revue d’autres modernes allemands et autrichiens moins connus : Erich Mühsam (…), Richard Schaukal (…), Alfons Petzold (Volkslied). Même le difficile August Stramm est présent dans Contimporanul avec deux poésies caractéristiques de sa facture si originale (Schlachtfeld et Patrouille). B. Fundoianu traduit Psalmul unei zile vechi [Psaume d’autrefois] de Franz Werfel. Toutefois, c’est la revue Cugetul românesc [La réflexion roumaine] qui diffuse l’expressionnisme dans le public roumain avec le plus d’efficacité. Entre 1922 et 1924, Oscar Walter Cisek publiera une série de portraits de nouveaux poètes allemands dont il présentera seul ou avec le poète Ion Pillat une riche anthologie d’extraits ». (Crohmălniceanu, 1978 : 41-42).
3.2.3. Peut-on constater à cette époque une réduction de l’écart entre la date de parution d’une œuvre dans la langue originale et la traduction ?
Lamartine est traduit en Roumanie par Gheorghe Asachi (1788-1869) en 1821, un an après la parution des Méditations en France (Antofi, 2009 : 58).
Rollinat, auteur symboliste, publie en France Les névroses (1883). Al. Macedonski, initiateur des Symbolistes roumains commence aussitôt à traduire cet auteur, perçu comme supérieur à Baudelaire. Des traductions de Rollinat paraissent dans les journaux littéraires (Literatorul, Convorbiri literare) après 1883. Baudelaire pénètre donc en Roumanie par les traductions d’un épigone décadent: Rollinat (Decu, 2009 : 8).
3.2.4. Y a-t-il à cette époque des changements dans la géographie de la traduction (origine des œuvres traduites) ? S’ouvre-t-on à des littératures non traduites jusque là ? Si oui, lesquelles ?
La littérature française, la littérature anglaise sont les grandes bénéficiaires de l’ouverture à la « modernité », désormais occidentale.
3.2.5. Citez quelques textes emblématiques traduits à cette époque (s’il y en a), titres et dates
Byron, Manfred, traduit par l’écrivain C. Negruzzi (1808-1868) en 1841. C. Negruzzi est reconnu pour la qualité de son écriture puisqu’il est entré à l’Académie Roumaine dès sa création en 1866 (alors nommée Societatea Literară Romană ).[6] Écrivain, homme politique de la génération de 1848, il a fait ses débuts de traducteur avec des textes de Pouchkine puis des ballades de Hugo.
Byron, Intunericul [L’ombre], traduit par Gh. Sion (1822-1892) en 1855. A partir de 1868, G. Sion est membre titulaire de l’Académie roumaine (depuis 1867 : Societatea Academică Română). Voir aussi réponse en 3.2.7 (Mihail Sebastian citant G. Sion).
Byron, Mazeppa, traduit par G. Coșbuc en 1884 (Decu, 2009 :11). À partir de 1916, G. Coșbuc, connu dans l’histoire littéraire roumaine comme poète est membre titulaire de l’Académie roumaine (depuis 1879 : Academia română ).
Comment traduit-on ?
Au XIXe siècle, la manière de traduire serait aussi diverse que le registre des traductions, estime G. Lungu-Badea. Le foisonnement des pratiques correspond à l’éclectisme des textes étrangers disponibles. « La traduction libre ou servile, néologique ou datée, directe ou indirecte témoigne de la large palette utilisée par les traducteurs. Ceux-ci n’ont pas encore découvert le moyen de combiner les stratégies et ils en usent de manière simpliste. En dépit des défauts de méthode, leurs arrangements illustrent la variété des genres abordés : de la première traduction d’une lettre d’Erasme par G. Antonescu (1858) (…) aux versions sans éclat, mais plastiques et sans néologismes, de livrets de compositeurs par Gheorghe Bengescu-Dabija. Citons : Giroflé-Girofla [Giroflé-Girofla], Fata-Mamei Angot [La fille de Madame Angot] de Ch. Lecoq, Principesa Trebizund [La princesse de Trébizonde] de J. Offenbach, Fatinita de Suppé ou Macbeth de Shakespeare en 1896 » (Lungu-Badea, 2008 :40).
Des pratiques du XIXe sont jugées sévèrement au XXe. Ainsi, vers 1850, la revue Albina Pindului [L’abeille du Pinde], dirigée par Grigore H. Grandea, publie des traductions de Byron, Schiller, Goethe, Heine et leur imprime un style global dont la justification procède peut-être de la personnalité de deux collaborateurs : les classiques Vasile Alecsandri, Dimitrie Bolintineanu. « La revue continuait la tradition de Ion Heliade Rădulescu. Traduire beaucoup et médiocrement. Pour éviter sans doute qu’on ne perde leur sens de vue, les vers étaient transposés en prose », mentionne B. Fundoianu/Fondane dans un article de 1919 sur « Les traducteurs roumains de Heine » (Jutrin, 2009 :65).
Des infidélités flagrantes font aujourd’hui l’objet d’analyses de chercheurs roumains - voir infra -.
Le « clivage traduction libre/traduction littérale » ne serait pas dépassé en Roumanie avant le XXe siècle. La bipolarisation de la notion coïncide avec une prise de conscience « des droits de propriété intellectuelle ». Au XXe seulement se développe une « réflexion complexe sur la traduction » incluant la notion de fidélité face à l’auteur, au texte-source, au lecteur-cible, à la situation de communication, à la notion de distance historique, etc. Au XIXe, les pratiques répondent à la nécessité d’importer textes/et/ou idées. Ces réponses sont tantôt « antagoniques, tantôt composites, parfois inconséquentes » (Lungu-Badea, 2007 : 172).
La « traducere slobodă » (traduction libre) de Simeon Marcovici (1802-1877), traducteur réputé signant Simeon Marcu est pratiquée par plusieurs promoteurs traductologiques au XIXe siècle (Lungu-Badea, 2008 : 152). Adepte du « libéralisme » traductif, il adopte une stratégie entre ad sensum et ad libitum. Il omet des passages, en intercale d’autres, accentue la morale du texte, traduit par hypertraduction (Lungu-Badea, 2008 : 153).
Le premier traducteur de Balzac, Ion Heliade Rădulescu (voir réponses en 3-1, 3-2-2), publie à partir de 1936 des extraits dans Curier de ambe sexe [Courrier des deux sexes], son journal littéraire, en adaptant à divers niveaux. D’abord, il traduit l’original publié chez Werdet et non la version remaniée par Balzac pour La comédie humaine. Il pratique l’ellipse, la coupure/censure, l’interpolation de digressions : « En vue d’éduquer les lecteurs et notamment la jeunesse, l’écrivain-traducteur fait paraître (…) un fragment du Lys dans la vallée, intitulé Scrisoare a unui tata kătre fiului său [Lettre d’un père à son fils], qui n’est autre que la Lettre d’Henriette de Morsauf à Félix de Vandenesse, modifiée pour raisons morales et idéologiques. Il fait des suppressions, intercale entre les paragraphes des considérations sur le rôle du citoyen patriote dans le progrès national/social des Pays roumains. »[7] I. H. Rădulescu supprime des paragraphes « évoquant l’éducation des femmes ou les bases du mariage conclu par intérêt matériel » (Bereholschi, 2009 : 137).
En 1852, une interprétation de Balzac par le Spathaire/Grand Ecuyer Costache Gane transpose le titre : La femme de trente ans en Cunoscinti despre obiceiurile din veacul al XIX lea [Connaissances des coutumes du XIXe siècle]. Des libertés plus considérables sont prises. « Cet essai peut aujourd’hui être considéré comme un exemple d’adaptation-traduction infidèle, le traducteur modifiant des titres de chapitres, des noms des personnages principaux en fonction des chapitres ; le traducteur explique ses raisons dans la Incunosciintare (Avertissement) de la première couverture intérieure » (Bereholschi, 2009 : 138).
Avant 1895, des interprètes de Balzac ne sont même pas identifiés. Les traductions paraissent anonymes, signées d’initiales, de pseudonymes. La presse de l’époque donne difficilement preuve d’une activité de traduction (mauvaise conservation des archives ?). « Il est à remarquer que seuls de courts fragments traduits sont enregistrés. Certaines données restent incomplètes car parfois le traducteur n’est pas identifié, parfois c’est la revue, le journal qui ne l’est pas. » (Bereholschi, 2009 : 138). Le conte « El Verdugo » paraît dans deux numéros consécutifs (n° 32, pp.375-376 ; n°33, pp.386-387) de la revue Albina Carpaţilor [L’Abeille des Carpates]. « Entre 1878 et 1879, la même revue accueillait la traduction de la nouvelle Adio [Adieu] par Iosif Popescu, signée des mêmes initiales, reproduite dans les pages des numéros 6-10 de la 3ème année ». « Le journal Românul [Le Roumain] » du 16 décembre 1891 (année 35), publie anonymement la traduction de l’esquisse Debutul lui Dom Pedro ca suveran [Les débuts de souverain de Don Pedro] (Bereholschi, 2009 : 141).
Les motivations de l’usage de pseudonymes ne sont pas claires même si le contexte incite à envisager une protection du traducteur. « Le journal conservateur Ṯara [Le Pays] publie trois courts essais de traduction anonymes publiés dans les numéros 68, 70 et 76 sous les titres La pîndă [Au guet] Reamintiri [Souvenirs], Mănuşile [Les gants]. Ils sont signés en 1893 du pseudonyme « Omega ». Qui est le traducteur ? Il est d’autant plus difficile de découvrir son identité que d’autres traductions littéraires française, italienne, allemande sont signées aussi de pseudonymes. Il faut à coup sûr le chercher parmi des collaborateurs de ce journal bucarestois : I.S.Spartali, N.Timiraș, Cincinat Pavelescu, Laura Vampa, Radu D.Rosetti. La même année 1893, un traducteur, Ieronim Barițiu use du pseudonyme Camil B. (…) Sous le pseudonyme HAS, il est facile d’identifier une personnalité d’envergure des lettres roumaines de la fin du XIXe siècle, le critique sociologue d’origine juive Henric Sanielevici (1875-1951), collaborateur/ secrétaire de rédaction de journaux bucarestois où il fera paraître ses publications signées tantôt HAS, tantôt Hasan, tantôt : H. S.» ( Bereholschi, 2009 : 141-142 ).
3.2.6. Formule-t-on des exigences concernant le respect du texte traduit, la mention du nom de l'auteur du traducteur, la nécessité de traduire directement à partir de la langue originale ?
Pas d’information sur des exigences explicites ou non.
3.2.7. Trouve-t-on des réflexions et/ou des débats sur la traduction ? Sur quoi portent-ils ?
Les débats portent moins sur le principe que sur la nature des œuvres à transposer. Ils rejoignent donc (ou procèdent d’une) idée ayant déjà opéré dans les Principautés : le programme de traductions.
La traduction « omorând in noi duhul national » (« tuant notre âme nationale »), est critiquée par Mihail Kogălniceanu (voir réponse en 3-1). Mais Kogălniceanu critique surtout l’imitation propagée par «boierimea cosmopolită şi xenomană (« la noblesse cosmopolite et xénomane ») (Lungu-Badea, 2007 : 162). Il rejette les auteurs français et allemands produisant une littérature facile/légère (uşoară), sans valeur (maculatură). Mais il encourage la traduction de L’esprit des lois de Montesquieu, pouvant servir au progrès social. Il souligne l’utilité des classiques grecs : Démosthène, Xénophon, Thucydide. Il publie des traductions du russe (réalisées par A. Donici et C. Negruzzi ) (Lungu-Badea, 2007 : 163).
Ion Eliade Rădulescu (1802-1872), sans doute le plus important idéologue de la traduction de l’histoire culturelle roumaine, formule un projet grandiose de publication des chefs-d’œuvre littéraires, historiques, philosophiques en 1846, mais le projet est pensé dès 1835, en raison d’activités traductives dans la capitale. Ainsi Mişcarea traducerilor (Le mouvement des traductions) organise des lectures pour le cénacle littéraire de la Société Philarmonique, projetée dès 1831, fondée en 1833. La noblesse de Bucarest se presse pour assister à ces séances tenues dans l’hôtel particulier du riche Dinicu Golescu. Le club pratique des lectures d’œuvres originales, aux côtés des premières traductions de Lamartine par I.H. Rădulescu (achevées dès 1922), (Malița, 2008 : p.171-173). La campagne conçue par I.H. Rădulescu portait sur plusieurs générations. Elle envisageait un plan de « bibliothèque universelle », inspiré du projet de Louis Aimé Martin (Ciopraga, 1975 : 298), (Malița, 2008 : 171). Ce littérateur français (1782-1847), élève et ami de Bernardin de Saint-Pierre dont il édita les œuvres en douze volumes (1817-1819), secrétaire rédacteur de la Chambre des Députés en 1815, conservateur de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, avait le premier publié à Paris en 1837 un « plan d’une bibliothèque universelle.»[8] Trop ample, le projet de Rădulescu échoua. Mais il « voulait réunir dans une collection de classiques, Homère, Xénophon, Démosthène, Virgile, Tasse, Alfieri, G. G. Byron, Victor Hugo » (Antofi, 2009 : 55-56).
D’autres lettrés ont ambitionné de placer la littérature roumaine au niveau de la littérature allemande. Gheorghe Barițiu (1812-1893) historien et philologue transylvain, fils de prêtre gréco-catholique, fondateur de la presse roumaine de Transylvanie, président de l’Académie roumaine en 1893, « recommandait la traduction de Phèdre de Racine, des épîtres de Cicéron, des œuvres de Schiller ou des romanţe spaniceşti (romans d’atmosphère espagnole) déjà traduits en allemand par Herder, Voss et Schlegel ». (Antofi, 2009 : 55-56), (Țelea/Lungu-Badea, 2008 : 195- 208).
Au XIXe siècle, la traduction est liée au « développement d’une conscience politique ». Des promoteurs de cette stratégie culturelle préconisent « une action concentrée méthodique » en vue d’intégrer « la nation roumaine dans la sphère (…) de la civilisation moderne » (Antofi, 2009 : 53). La traduction « outil pédagogique privilégié » est une arme du combat progressiste. On lui attribue « des fonctions instructives et éducatives » démenties par la médiocrité du « flux de type best-seller » des traductions de l’époque (Antofi, 2009 : 56). Les représentants des Lumières roumaines, les révolutionnaires de 1848 (Ion Heliade Rădulescu, Gheorghe Asachi, Gheorghe Barițiu) étaient « propriétaires de typographies souhaitant former un public de lecteurs ». À leurs yeux, le public ne lisant pas en langue originale est menacé « d’analphabétisme littéraire » en raison de la pénétration d’une « sous-littérature traduite de (…) mélodrame, littérature de boulevard, etc. » (Antofi, 2009 : 56). Les classiques sont « validés du point de vue esthétique ». Si on les publie en traduction allégée, estime l’historien littéraire Paul Cornea dans Oamenii începutului de drum [Les hommes du début de la route] (1974), c’est pour les adapter à une littérature jeune cherchant ses modèles (Antofi, 2009 : 57). P. Cornea considérait dans Originile romantismului [Les origines du romantisme » (1972) que ces stratèges culturels ont concilié leurs aspirations à l’élévation du niveau de conscience des Roumains avec la nécessité de plaire (« désir de faire pédagogie et obligation de faire commerce »), (Antofi, 2009 : 55).
- Prolongement du débat au début du XXe siècle ( Felix Aderca, Mircea Eliade, Mihail Sebastian).
-Felix Aderca. Poète, esthéticien, essayiste, romancier, formé par le cénacle bucarestois de E. Lovinescu - théoricien du « synchronisme ». F. Aderca (1891-1962) est aussi un traducteur du français, de l’allemand, du yiddish (?[9]) connu de l’entre-deux-guerres. La période communiste lui a accordé une importance contournée ou déniée par la critique du XXIe siècle (Pârvulescu, 2001). Ses interviews (il lance ce genre en Roumanie entre 1914 et 1926) recensent aussi des traductions. Lui-même a traduit Le feu de H. Barbusse (prix Goncourt 1916), dont le thème répond à ses propres convictions pacifistes (il a combattu pendant la première guerre mondiale, expérience lui ayant fourni la matière de son roman 1916). T. Goldstein[10] le présente aussi comme traducteur de K. Čapek, J. Steinbeck, Axel Munthe, Gian Dauli, E.E. Kisch, etc. Plus concrète que celle de Mircea Eliade jeune (1907- 1986), sa chronique littéraire « européenne » rééditée en 1983 dans Contribuţii critice [Contributions critiques] comprend maints indices de politisation du débat sur la culture nationale, le modernisme, la représentativité de l’intellectuel juif après la première guerre mondiale (le traité de Versailles « restituant » la Transylvanie a obligé la Roumanie, seul pays d’Europe refusant la citoyenneté aux juifs, à la leur octroyer). Elle évoque aussi la nécessité de forger une langue roumaine forte, le devoir d’internationaliser une culture nationale trop provinciale. La réflexion technique sur le transfert linguistique n’est pas étrangère à la pensée d’Aderca. En marge d’une interview de Camil Petrescu,[11] le romancier à la mode ayant mis fin au roman traditionnel, il commente un événement considéré par C. Petrescu comme une catastrophe : la traduction (retraduction)[12] d’Homère par George Murnu. Ultérieurement, Aderca consacre une interview à cet universitaire ayant acclimaté Homère. G. Murnu est aroumain. Il a conféré au discours homérique des traits lexicaux aroumains, une rhétorique, des images pastorales propres à ce groupe linguistique-culturel balkanique. L’interview de Murnu expose sa théorie de la traduction à travers l’évocation de son travail. Définissant de manière normative l’adéquation entre vision du traducteur et œuvre à transposer, G. Murnu propose le terme « équivalence ». Il évoque aussi les dialectes (sud-danubiens et autres) fondus dans son Illiade, son Odyssée, pour recréer une langue homérique fictionnelle. « Notre littérature est trop jeune pour qu’un trésor linguistique se constitue à partir de la seule invention verbale des riverains de la Dâmbovitsa[13]. La langue (littéraire) doit être créée par fusion des dialectes. Ses expressions doivent être prises partout où a résonné la langue roumaine : une oreille fine, d’éducation artistique confirmée doit les avoir tamisées. C’est pourquoi mes trente années de recherche sur les dialectes roumains, la langue de nos anciens chroniqueurs n’ont pas été vaines… ». Pour généraliser la réussite de son Homère, G. Murnu suggère la création de prix pour les « traductions-équivalences » de classiques. Cette tâche prioritaire sera assumée par des écrivains. « Je suis favorable à la création de prix favorisant l’enrichissement de la langue roumaine par des traductions-équivalences. Avons-nous un Molière complet ? Un Shakespeare? Ces deux auteurs universels manquent à notre jeune littérature (Dante est intraduisible et les efforts de Coşbuc n’ont fait que renforcer cette évidence). Où sont les écrivains capables d’assumer cette tâche ? Leur œuvre serait plus glorieuse que les 1000 poésies publiées chaque semaine en revues », (Aderca, 1983 : 270-273).
Mircea Eliade.[14] En 1935, un article de M. Eliade intitulé « Traduceri « [Traductions] pose la nécessité d’importation de classiques en termes « d’assimilation ». Tire-t-il une conclusion du débat « koraiste » ayant en partie occupé le devant de la scène traductive roumaine de l’époque phanariote au milieu du XIXe ? (Voir Questionnaire Littérature profane). Souhaite-t-il renouer avec la politique culturelle de I.H. Rădulescu ? Sa réflexion semble avoir intégré l’apport de G. Murnu. Une Divine Comédie vient de paraître en roumain (traduction par Alexandru Marcu), mais une acculturation plus complète manque : ce traducteur devrait aussi rédiger une monographie sur Dante. « Un pays sans Dante est autre chose qu’un pays l’ayant déjà traduit et assimilé ». (Eliade, 1990 : 83). Les traductions de savants sont-elles dangereuses, aux yeux du romancier Eliade pour qui éviter le contre-sens ne suffit pas ? Souhaite-t-il que le traducteur soit écrivain ? « (La traduction) peut gauchir une œuvre moderne. C’est le cas du roman Gelozie şi medicină [Jalousie et médecine] traduit du polonais par l’érudit professeur Nandriș (qui connaît sans doute le polonais, mais ne maîtrise pas le roumain) ».[15]
Mihail Sebastian. En 1938, M. Sebastian (Iosif Hechter, Brăila, 1907- Bucarest, 1945) critique, traducteur du français, romancier, élève du philosophe Nae Ionescu (natif de Brăila) consacre un long compte-rendu à une anthologie de classiques français : son auteur est le critique poète d’avant-garde Perpessicius, natif aussi de Brăila. Rendue visible par l’apparat critique (présentation des extraits, notes, dates), l’érudition du traducteur/anthologiste est perçue comme inséparable de la qualité/probité de son travail. Perpessicius a réalisé une marqueterie de traductions antérieures dont il cite les références. « Quand M. Perpessicius rencontre un vers de Phèdre de Racine dans un article de George Sand, au lieu de le traduire personnellement, il cite une vieille traduction de G. Sion (« unei vechi tălmăciri ») (…) et par surcroît, une phrase du Journal de Stendhal, si bien que le nom vénérable de Gh. Sion intercalé entre ceux de Racine, George Sand, Stendhal localise dans le temps un événement littéraire aujourd’hui trop éloigné ». (Sebastian,1972 : 471-472). La précision chronologique s’augmente donc d’une mise en perspective valorisant l’ancienneté des traductions roumaines et plus particulièrement la qualité du travail des traducteurs grecs ou hellénistes de l’époque phanariote/post-phanariote (Racine traduit par Gh. Sion[16] dès 1874). « Ces références à la vie, la littérature roumaines, communiquées à titre de curiosité sont nombreuses dans l’anthologie de M. Perpessicius : précieux détails de son art de traducteur. Car traduire n’est pas transposer d’une langue dans une autre mais reconstituer dans la langue (cible) les liens du texte (source) avec un complexe de faits, connaissances, dates. M. Perpessicius entoure les textes traduits d’un cadre familier de données historiques, d’indications critiques. C’est pourquoi sa version ne les fait paraître ni étrangers, ni égarés. » ( Sebastian, 1972 : 472).
En 1920, Aderca rédigeant sur Cyrano de Bergerac (traduit par M. Codreanu) commente la spécificité de la traduction (inter-traduction ?) en langue(s) romane(s). « La difficulté initiale (est celle) de la transposition dans une langue romane. Il manque (à ces langues) la flexibilité, la malléabilité, la force combinatoire revivifiant les mots dans les langues germaniques. Le latin a suscité des progénitures toute personnelles : elles ne peuvent s’écarter de l’héritage de la vieille Rome. Leurs mots sont des blocs de marbre incassable n’ayant jamais surpassé, ne pouvant surpasser, l’audace d’une première création leur faisant défaut, le pouvoir expressif des poètes latins. Le marbre permet de construire une seule fois et dans un certain esprit : lignes courbes, ogives et voûtes. Les purs jeux verbaux de Rostand sont mieux rendus par la langue de Heine. En espagnol, italien, roumain, il faut briser la langue-cible ou la recréer. » (Aderca, 1983 : 362).
Publiées dans des revues à large audience, ces remarques montrent que la réflexion sur la transposition linguistique n’est pas abandonnée aux seuls philologues : elle relève de la culture générale. Elles montrent enfin qu’au XXe siècle, la traduction roumaine garde foi dans les principes d’interprétation, de glose interne au texte (commentaire, explicitation) la caractérisant au XIXe siècle. Cette praxis est à présent émiettée en usages péri-traductifs (notes, présentations d’extraits, coupures anthologiques commentées) mais préserve son essence, présente dans le synonyme de « a traduce » en roumain : « a tălmăci », signifiant « interpréter ». L’activité de traduction est vue comme un genre littéraire/intellectuel de haute valeur. C’est pour des raisons éthiques que certains la préfèrent à la production lyrique, à la critique, à la bibliophilie ou la curiosité intellectuelle de snobs trop répandus en Roumanie : « je préfère la pensée authentique à des idées prélevées telles quelles dans des tomes français… davantage : je préfère le sincère métier de traducteur (« sincera meserie de tălmăci ») - popularisant par son travail solide, modeste diverses essences spirituelles en raccourcis, au picorage stérile sur rayonnages. » (Eliade, 1990, vol 1: 91).
Par ailleurs, les modalités du traduire, le statut du traducteur semblent obéir aux mêmes enjeux (valorisations des cultures étrangères en fonction d’alliances politiques, religieuses, décrétées par l’État ou devançant les stratégies de ce dernier, antisémitisme, promotion/annihilation des « marges » en fonction de choix nationalistes) que les autres domaines de la culture de l’époque.
3.2.8. Certains traducteurs écrivent-ils des préfaces explicitant leur pratique ainsi que le choix des textes qu’ils traduisent ?
Plusieurs traducteurs écrivent des introductions, préfaces, postfaces explicitant les « principes linguistiques » auxquels ils ont obéi. Mais s’il y eut, après 1750, des programmes de traductions (littéraires, philosophiques, juridiques-administratives, scientifiques, théologiques), à partir de plusieurs langues (slavon, grec ancien, grec moderne, russe, grec, turc, français, italien) (Obrocea, 2008 :228), « il n’a pas existé de programme ni de série de principes clairs, exprimés à chaque fois par les traducteurs ». Les principes seraient « intrinsèques » aux traductions. Comme tels, ils devraient être déduits au coup par coup. (Obrocea, 2008 : 230)
Des préfaces de traducteurs de littérature profane sont écrites très tôt. Le Génie du Christianisme est préfacé en 1850 par son traducteur, un ecclésiastique : l’archimandrite Dionisie (Geniul Hristianismului de Chateaubriand, traducţie de arhimandritul Dionisie [Le génie du christianisme de Chateaubriand », traduction de l’archimandrite Dionisie])[17] (Sebastian, 1972 : 471).
Le désir d’explicitation/motivation de choix des textes prend d’autres formes que la préface, introduction, postface. Les commentaires péri-traductifs sont liés à la diversité de l’activité littéraire des traducteurs, les plus brillants, les plus connus étant polygraphes : d’où l’existence de compte-rendus de traduction rédigés par le traducteur même sous forme d’article. Elle doone lieu aussi à l’apparition de nouvelles formes littéraires : ainsi l’interview, genre pratiqué pour la première fois en Roumanie dans l’entre-deux-guerres mondiales par F. Aderca.
Interview de traducteur par F. Aderca – voir aussi réponse en 3.3.9.-
G. Murnu (1868-1957) traducteur d’Homère répond à Aderca ayant mis en cause son œuvre dans une interview de C. Petrescu. Sa réponse récapitule en premier lieu l’attaque de l’interviewer à son égard. Son style de traducteur serait celui d’un magicien (vrăjitorie, de fait Aderca a utilisé le terme : baba vrăjitoară : vieille magicienne), ses personnages homériques sont vêtus en paysans roumains, les hommages rendus au traducteur devraient être adressés à Homère. En second lieu, Murnu réfute les « malentendus », il écarte la comparaison avec un traducteur français contemporain puisant dans le monde du sport, non de la paysannerie, ses images « équivalentes » du monde homérique. Ce n’est pas à cette sorte de mode qu’il s’est plié. Murnu justifie enfin ses choix linguistiques en termes de registre et niveau de langue. « Je n’ai pas voulu traduire. Suis-je parvenu à l’équivalence ? Voilà ce dont un bon connaisseur du grec et du roumain peut juger. J’ai parfois utilisé des néologismes, créés par moi, d’après la consonance et l’esthétique du roumain ; j’ai d’autres fois utilisé des expressions fortes, ayant même une nuance de vulgarité mais susceptibles de se purifier par l’harmonie d’un texte épique et de devenir des éléments vivants pour l’expression poétique des générations futures. Au début, cela peut paraît forcé, faux, mais avec le temps, cela devient plus familier à l’oreille pour s’incorporer dans la langue usuelle et littéraire. » (Aderca, 1983 : 271).
Compte-rendu de traduction rédigé par le traducteur ( F. Aderca).
Felix Aderca commente, dans un article de 1920, Le feu de Henri Barbusse, prix Goncourt 1916, qu’il a traduit en roumain (Aderca, 1983 : 348-350). D’entrée, il insiste sur la complexité d’un travail accompli par enthousiasme. « Je l’ai traduit en roumain: j’en témoigne sans vergogne. Son monument, Le feu, présente de telles difficultés de transposition, le langage vif caractéristique des soldats des tranchées a tant de charme, tant d’originalité qu’à maintes reprises j’ai renoncé à prendre la plume. J’ai traduit Le feu. En dépit de l’imperfection de ma version, je n’ai aucun regret. Même je recommencerais s’il fallait! » Sa passion pour le livre a été irrationnelle. Barbusse n’est pas le seul écrivain de l’affrontement franco-allemand, son style est ordinaire, son imagination presque nulle, son réalisme est celui de toutes les peintures de guerre. Mais l’âme brûlante d’un livre exaltant cette « étrange folie » : le sacrifice patriotique, peut transcender les idiomes. « Dans quelque langue qu’on eût traduit le livre du soldat Barbusse, fût-ce le langage de la parodie, jamais on n’aurait annihilé cette beauté planant au-dessus du mot, de la phrase. » (Aderca, 1983 :349).
3.3. LE RÔLE CULTUREL DE LA TRADUCTION
La traduction et la langue
3.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (existe-t-il une norme unique pour cette langue ? Coexistence éventuelle avec d’autres langues ?)
Au XIXe siècle, la traduction est vue comme déterminante pour le développement d’une langue littéraire caractérisée par « une absence de normes supra-dialectales. » (Bereholschi, 2009 : 136).
Au XXe siècle, G. Murnu, traducteur d’Homère fait état d’une situation presque inchangée puisque la scène littéraire nationale écarte de fait les locuteurs de l’aroumain. La critique de M. Eliade blâmant l’expression de G. Nandriș (malhabile? provinciale? marquée d’influence slave, autrichienne?) visait-elle un traducteur sans dons littéraires ou simplement un traducteur originaire de zones de juxtaposition de langues (allemand/hongrois/ukrainien) disqualifiant un roumain local vu comme l’expression de ruraux au bas statut social ? ( voir réponse 3-2-7-).[18]
3.3.2. La traduction joue-t-elle un rôle dans l'évolution de la langue ?
La traduction joue un rôle majeur dans l’évolution de la langue au XIXe siècle.
B. Fundoianu/Benjamin Fondane estime, en 1919, que trois traducteurs « ont marqué l’histoire de la littérature roumaine » en raison de leur traitement d’états de langue . « Trois traducteurs d’importance ont en effet marqué les trois étapes de la littérature roumaine. Rodion a marqué l’époque de Eminescu, Iosif l’époque de Cosbuc, Nemteanu, la nôtre. Une curieuse juxtaposition de leurs trajectoires mettrait en évidence trois hypostases de la langue roumaine. Dans la première, le traducteur usait exclusivement de la langue d’Eminescu. Dans la deuxième, il se servait d’une langue mixte : celle d’Eminescu croisée avec la sensibilité venue des termes transylvains. Dans la troisième, celle de Nemțeanu, la langue a suivi les traces de la poésie née d’Anghel et du courant symboliste » (Jutrin, 2009 : 70-71).
Traduction et abandon de l’alphabet de transition.
Les traductions de langues non slaves vont faciliter l’introduction de néologismes occidentaux (renforcement du lexique latin par l’influence du français), mais aussi l’abandon progressif de l’alphabet dit de transition. Ce dernier est utilisé jusqu’en 1860, date d’un passage définitif à l’alphabet latin entériné par l’Académie. Celle-ci tranchera encore en faveur de l’orthographe phonémique en 1881. « [Les traductions] […] paraissent en un siècle soucieux d’établir des normes uniques supra-dialectales de la langue roumaine littéraire » en vue de la moderniser (Bereholschi, 2009 :143). Pour « éduquer les lecteurs », notamment la jeunesse, l’écrivain I. H. Rădulescu fait paraître dans Curier de ambe sexe (période I, 1836-1838) des fragments du Lys dans la vallée. « Dirigeant ce périodique, il l’édite lui-même en alphabet de transition combinant caractères cyrilliques et latins » (Bereholschi, 2009 :137). « En 1852, le grand écuyer Costache Gane tente la première traduction intégrale en volume de La femme de trente ans ». Le livre est publié à Jassy, imprimé dans la typographie roumano-française, à partir de l’original publié par Balzac en 1834 chez Werdet. La version « lourde » de Gane est difficile à relire de nos jours ( …) « Elle est publiée et imprimée en alphabet slavon de transition (…) dans une langue archaïque populaire combinée à des particularités "savantes", la construction de la phrase étant pourtant modifiée par l’influence de la syntaxe française. » (Bereholschi, 2009 :139).
Insertion de dialectes dans une « traduction géniale » réalisée en 1906 (Homère par G. Murnu).
On distingue en général deux périodes au XIXe siècle, en matière de formation de la langue grâce aux textes originaux/traduits. Au cours de la première étape (1840-1860) : la culture roumaine parachève sa modernisation. La seconde époque (1860-1900) introduit une « transition encore nommée prémoderne. Elle constitue de fait la première étape de formation de la langue roumaine littéraire moderne ». Les textes religieux dont la suprématie s’exerce depuis des siècles sont définitivement remplacés par des écrits laïcs. L’unité de langue savante obtenue par les traductions ecclésiastiques entre 1725 et 1780 a été brisée et la langue a vu s’accentuer les différences dialectales (Vîlceanu, 2008 :211). La langue littéraire devra estomper ces différences sans omettre de reproduire les registres empiriques de l’expression roumaine.
La retraduction en roumain de l’Iliade par G. Murnu (1906, Budapest) marque, pour l’historien littéraire G. Călinescu (1899-1962), « un moment fondamental de l’évolution de la langue littéraire ». En 1941, Călinescu compare l’œuvre de G. Murnu à la traduction russe de l’Iliade en 1819 par N. Gneditch (1784-1833). Le travail de G. Murnu est encore perçu comme supérieur à l’Homère en italien de V. Monti et en allemand de I.H.Voss. (Călinescu, 1985 : 659-660). G. Murnu a bel et bien conféré une dignité « classique » (antique/archaïque/thraco-dace) à des états de langue et civilisation (aroumains, transylvains) vus comme dialectaux, arriérés, ruraux. On peut considérer que son action coïncide avec une valorisation de penseurs entérinant « la révolte de notre fonds non-latin » (Lucian Blaga)[19]. Le désir de construction d’une langue roumaine forte, la paradoxale résistance à l’influence étrangère dans l’acte même de transposition se lit dans d’autres critiques. La manie du néologisme, le snobisme au quotidien, valorisant ce qui vient de France sont épinglés ailleurs par G. Călinescu qui est historien littéraire mais aussi critique, romancier, traducteur de l’italien. Consignant en 1935 la traduction de recettes de cuisine françaises, il raille l’utilisation d’une terminologie dépourvue de sens (« échalote », « carotte »), les équivalents roumains existant dans la langue comme dans les potagers autochtones. (Călinescu, 1973 : 302-303). Dix ans auparavant, la critique littéraire et culturelle de B. Fundoianu (1898-1944) stigmatisait une colonisation culturelle, pratiquée dès l’époque phanariote par l’introduction du français dans la vie administrative d’inspiration grecque.
Traductions de toutes langues et influence du français sur le roumain.
La question de l’influence française sur le roumain procéderait en tout cas, toutes époques confondues, de l’importance de la traduction dans la création littéraire roumaine artistique ou utilitaire. « Les emprunts lexicaux du français ont de fait joué un rôle modérateur dès les premiers emprunts à diverses langues : grec moderne, latin , italien, allemand russe. » (Obrocea, 2008 : 235). En effet « les termes empruntés au français sont, dans leur grande majorité, plus récents que ceux des langues précédemment citées. Ils sont entrés en roumain à une époque où le roumain a été en contact avec d’autres langues : sources possibles de termes néologiques » (Sala : 1999/ Obrocea, 2008 : 235).
LA TRADUCTION ET LA LITTÉRATURE
3.3.3. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement des formes, des genres et des courants littéraires, notamment dans l'avènement de la modernité ?
Dès le XVIIe, le prestige de la culture française « fait du français la langue internationale de l’Europe, en science comme en diplomatie. Cette réalité est assumée » par les traductions du français très abondantes au XIXe (domaines scientifique et littéraire artistique), (Obrocea, 2008 :224). Voir aussi réponse en 3.2.2
On peut donner deux exemples (non exhaustifs) de développement de formes littéraires modernes suite à la traduction de contemporains anglais, français. La traduction de poètes symbolistes, de romanciers fantastiques est à l’origine du symbolisme roumain (développé plus tard en dadaïsme et surréalisme en Europe de l’Ouest, notamment en France par T. Tzara, I. Voronca, B. Fundoianu/ Benjamin Fondane), d’une science-fiction roumaine au XXe siècle. Dans ce courant se mêleront l’utopie sociale, l’utopie scientifico-technique et la tendance à la para-littérature. Au niveau planétaire, surtout à partir du XXe siècle, le genre jouera un rôle de critique du totalitarisme (de Orwell à Zinoviev), mais il aura été parallèlement incorporé sous le communisme aux projets de construction d’une littérature éducative (éveil de la jeunesse aux sciences et techniques), (Lenz, 1988 : 7-21).
Développement de la poésie à la fin du XIXe siècle : les traductions de Byron, de Rollinat ont permis la pénétration du symbolisme, premier courant littéraire roumain urbain, cosmopolite, donc européen (contrastant avec les mouvements littéraires « agrariens » et « populistes » locaux). Avec l’introduction du symbolisme, la poésie roumaine adopte notamment le vers libre.
Introduction de la Science-fiction en Roumanie à la fin du XIXe siècle : dès 1846, Ion Heliade Rădulescu veut traduire L’utopie de Thomas Moore et la Nouvelle Atlantide de Bacon, comme il l’annonce dans son plan de « Bibliothèque Universelle ». Certains de ses projets se réalisent. Les voyages de Gulliver de Swift, traduits par I.D. Negulici, paraissent en 1848 dans une édition illustrée de 80 figures par le traducteur même, peintre de surcroît. Une nouvelle traduction (par Gr. H. Grandea) paraîtra en revue en 1879, (Florin Manolescu, 1980 :194). En 1873, Convorbiri literare [Conversations littéraires], la plus grande revue d’alors, signale les romans de Jules Verne. Familia les publie en feuilletons hebdomadaires en 1876. Le château des Carpates (traduction autorisée de Victor Onișor) paraît à Sibiu en octobre 1897. Son traducteur a fait paraître, en 1894, l’article « Jules Verne şi Românii » [Jules Verne et les Roumains] analysant l’information de J. Verne sur la Transylvanie, lieu où se déroule le roman. La traduction du Château des Carpathes (prête dès 1894) est vue comme le moment de réception maximum d’un texte de Science Fiction en Roumanie. Un livre de E.A. Poe paraît en 1878 sous le titre Voyage dans la Lune (« Hans Pfall », signant la naissance de la science fiction roumaine). En 1899, une nouvelle traduction (signée Ighel Deleanu) paraît dans Foaia populară [La feuille populaire]. Un texte de H.G. Wells paraît en volume en 1913, mais en feuilleton dès 1905 (Florin Manolescu, 1980 : 195, 196, 198). La traduction d’ouvrages de science-fiction français ou anglais en Occident est synchronisée avec leur traduction presque immédiate en roumain. Les auteurs roumains fondateurs du genre : Victor Anestin, astronome et vulgarisateur (1875- 1918), Henri Stahl (1877-1942), Felix Aderca (1891-1962) rédigeront des romans influencés à la fois par J. Verne et H.G. Wells, déjà introduits en Roumanie à leur naissance, donc pendant leur enfance.
La traduction et la société
3.3.4. À quelles fins traduit-on (esthétiques, commerciales, politiques, sociales) ?
Pas d’information à ce sujet.
On semble traduire à toutes ces fins à la fois. Les « Mystères » (voir réponse en 3-2-2) sont une para-littérature diffusée à des fins commerciales par colportage. Le projet de « Bibliothèque Universelle » de I. H. Rădulescu est esthétique, politique, social. Il veut établir des critères de goût fondés sur l’assimilation du savoir des grandes nations occidentales et de la France.
Entre les deux guerres mondiales, les fins avouées, explicites et conscientes ne sont pas nécessairement les finalités effectives. L’ouverture à l’Europe, au monde du modernisme (romantisme, symbolisme) équivaut à un élargissement des horizons géographiques traditionnels, mais il coïncide encore avec un cosmopolitisme maximal (traductions de l’anglais, de l’américain, du russe, de l’allemand, parfois de l’espagnol), avec un approfondissement des origines dans le sens local du terme. Ainsi l’ouverture à l’aroumain, et plus généralement à l’expression roumaine hors frontières, va coïncider avec une nationalisation maximale, des aspirations à l’étendue territoriale auxquelles le nazisme et le fascisme vont aussi communiquer leur élan. Le maréchal Antonescu, condamné à mort à Nuremberg, donnera pour motif de la collaboration de la Roumanie avec Hitler la nécessité de donner des droits à des populations minoritaires opprimées à l’Est et au Sud-Est de l’Europe. La traduction participe aussi de cette stratégie intellectuelle et moralisante, à la fois consciente et inconsciente.
La critique de la traduction d’Homère par G. Murnu, par exemple, s’inscrit de fait dans le contexte politique de montée du fascisme roumain (mais pose des questions auxquelles le communisme semble n’avoir pas proposé de réponse spécifique). Son soutien à la reconnaissance d’un substrat culturel balkanique thraco-dace va aussi dans le sens de la « révolte de notre fonds non-latin ». Lucian Blaga ayant aussi réclamé « un peu de barbarie » bousculant « la symétrie/ l’harmonie latines ». (« Gândirea », 10/1921).
3.3.5. Qui prend en général l’initiative des traductions (traducteurs ? éditeurs ? libraires ? mécènes ? pouvoir politique ou religieux ?)
Pas d’information globale à ce sujet.
Les traductions en tous genres sont publiées en 1935 par des éditeurs « habituels » (obişnuiţi). M. Eliade souhaite, dans l’article « Traduceri » [Traductions] en 1935 (1-15 mai), que des priorités soient programmées par un plan d’éducation étatisé. Les « Fondations Royales », le « Ministère de l’Instruction » devraient assumer la traduction de « classiques universels », souhaitée par I. H. Rădulescu au XIXe siècle. « La traduction intégrale de Shakespeare programmée il y a deux ans, est tombée à l’eau. Sans doute par manque de fonds. Shakespeare, Camoëns, Cervantès ne peuvent être traduits pour quelques dizaines de milliers de lei. Une telle œuvre concerne la race (neamul) et non un seul traducteur. Elle doit être accomplie avec persévérance, effort, génie. Un éditeur ordinaire (obişnuit) ne peut l’entreprendre. Seules les Fondations Royales, le Ministère de l’Instruction, le pourraient. La traduction de Shakespeare coûtera quelques millions de lei. C’est peu si on réfléchit (…) Traduire les classiques universels signifie autre chose que traduire des modernes (…) C’est un crime que d’exposer les chefs-d’œuvre littéraires universels à une mauvaise traduction. Car on ne lit pas les classiques. On les assimile, on les prend pour modèles, on les fréquente dans les manuels. Assurer leur pénétration dans une culture est l’un des plus sûrs moyens de contrôler cette dernière. » (Eliade, 1990, vol 1: 83).
3.3.6. Quels sont les supports de publication et les modes de diffusion des traductions ?
Les traductions sont publiées en journaux, en revues, en volumes.
Les traductions d’auteurs allemands, après la Première Guerre Mondiale, sont publiées en revues (poésie) mais non en volumes (romans). (Voir réponse en 3.2.2).
3.3.7. Y a-t-il des différences à cet égard avec la littérature originale ?
Pas d’information à ce propos.
3.3.8. Quel est le public des traductions ? Est-il différent du public de la littérature originale ?
Au XIXe siècle : l’aristocratie et les classes supérieures lisent en langue étrangère originale. Au début du XXe siècle, un nouveau public de lecteurs du roumain se crée. Lit-il des traductions contemporaines ? M. Eliade déplore la pauvreté roumaine en traduction de classiques. Le caractère « humiliant » de la situation est consacré par la comparaison avec la Hongrie (Shakespeare a déjà été traduit quatre fois en hongrois). Le faible « pouvoir d’absorption » du public roumain, la mauvaise qualité de l’accueil critique lors d’une traduction importante sont aussi invoqués par M. Eliade en 1935, (Eliade, 1990, vol. 1 : 82-83).
À la fin des années 1920, au début des années 1930, de nombreux Roumains pratiquent le « parasitisme culturel » jusqu’à lire des auteurs allemands (Rilke) en traduction française, constate encore M. Eliade dans un article de 1928 intitulé « Gîndirea minoră şi gînditori paraziţi » [Pensée mineure et penseurs parasites] (Profetism românesc I [Prophétisme roumain 1]). Parallèlement, la généralisation de la lecture dans l’original de contemporains français est indirectement attestée par sa stigmatisation de la légèreté des « jeunes universitaires, érudits amateurs ne pouvant penser qu’en marge des livres français. Ces livres français de lecture agréable (…) ne contiennent qu’une heureuse émulsion de pensées, sensations, confessions » (Eliade, 1990 : 89).
3.3.9. Réception critique des traductions ?
Pas d’information globale à ce sujet.
Mircea Eliade évoque le mauvais accueil critique roumain face aux traductions importantes (voir réponse en 3.3.8).
Deux cas (voir plus bas) font état d’une réception critique passionnée. La motivation critique peut éventuellement se voir raccordée à une « solidarité » de type régionaliste (Perpessicius est originaire de Brăila, comme son commentateur élogieux Mihail Sebastian), à un goût du commentateur pour la polémique dans la mesure où la traduction évoque un sous-bassement politique (cas de Aderca dont les options d’extrême gauche sont marquées).
Compte-rendu de traduction de Mihail Sebastian, anthologie de Perpessicius, 1891-1971[20]. (Voir aussi réponse en 3.2.7).
Perpessicius a publié, en 1920, une anthologie de 25 auteurs mettant en évidence son talent de coordination aux yeux de M. Sebastian dans un article de 1938. « Dans ce livre tout est coordonné, tout se répond, s’oppose, se complète » (Sebastian, 1972 : 468). Ce recueil, intitulé De la Chateaubriand la Mallarmé, antologie de critică franceză literară. Traducere şi note de Perpessicius [De Chateaubriand à Mallarmé, anthologie de critique littéraire française. Traduction et notes de Perpessicius] privilégie les critiques artistes dont M. Sebastian, traducteur, essayiste, romancier familier du « vieux problème des rapports entre création et critique » se déclare solidaire. « Entre les deux critiques », « officielle » ou « artiste », M. Perpessicius a choisi. » (Sebastian, 1972 : 466). La « critique artiste », genre français, s’exerce en correspondance, mémoires, conversation, journaux plus qu’en articles, études, livres. L’atmosphère du XIXe français, la « structure sociale » de la littérature française a été restituée par l’anthologie. « Les textes traduits (…) signalent les points de jonction entre générations, de communication entre contemporains, les ramifications d’une œuvre, ses échos chez d’autres écrivains (…). M. Perpessicius encadre des textes représentatifs dans une série commune d’idées, de problèmes (…) ». La participation du traducteur et anthologiste est à la fois directe et indirecte. Présent « dans les coulisses et au premier plan », Perpessicius a écrit « pour les 25 auteurs de son répertoire critique, 25 notices introductives. Chacune construit un portrait, une esquisse bibliographique, une présentation critique concise. La variété des sources donne à ces notices une valeur plus qu’informative. Par la « petite histoire littéraire » (échos, anecdotes, correspondance, polémiques), M. Perpessicius esquisse en traits pittoresques 25 figures littéraires (…) « De Chateaubriand à Mallarmé » a posé au traducteur tous les problèmes possibles, a requis toute la gamme des moyens littéraires. La prose de Vigny, Nerval, Flaubert, Huysmans relève de styles, de modes distincts. Face aux vers isolés, aux poèmes entiers de la Fontaine, Boileau, André Chénier, Baudelaire, Villiers de l’Isle Adam, Maeterlinck, on prend conscience qu’aucun problème ni secret de traduction n’a été contourné par ce travail réalisé par le critique, l’historien littéraire, le poète. » (publié dans Revista Fundaţiilor, août 1938) (Sebastian, 1972 : 467, 468, 470, 472).
Polémique traductologique autour d’une réussite (Homère par G. Murnu). (Voir aussi réponses en 3.3.2 et 3.2.8.)
La traduction d’Homère par G. Murnu (1906) a reçu un accueil critique exceptionnel, non démenti par la polémique mise en lumière par Aderca. Ce travail sera commenté en 1941 sur deux pages (cinq colonnes) par l’une des plus importantes histoires littéraires du XXe siècle rééditée en 1985 (Călinescu, 1985 : 658-660). L’historien construit son commentaire en trois points : 1) les choix lexicaux du traducteur (« L’invention verbale est extraordinaire : aroumanismes, transylvanismes, mots venus de tous les coins du pays sont harmonisés dans un même tissu avec une virtuosité totale. Mais il n’y a pas que la mosaïque… »), 2) l’angle d’interprétation situant Homère dans la perspective du thraco-gétisme, dont l’extrême-droite roumaine de l’époque use comme d’un cheval de combat (voyant l’Iliade comme une épopée de bergers, G. Murnu « enracine Homère dans des images paysannes thraco-daces ».) 3) l’adaptation exceptionnelle de la métrique (hexamètre dans l’Iliade, alexandrin dans l’Odyssée).
Donnant à la désapprobation de C. Petrescu l’audience de deux interviews, F. Aderca confère à la même parution une valeur satirique de « contre-événement ». La version de G. Murnu a été annotée en privé par Camil Petrescu : « (Dans sa bibliothèque) je trouve soulignées en rouge les fautes de langue, de syntaxe et d’absence de poésie. Camil avait raison d’accuser G. Murnu ! Sans conteste, sa traduction est défectueuse ! Il est vrai qu’on peut objecter (à C. Petrescu) : « Osez-vous juger d’une traduction d’Homère sans savoir le grec ? - Je n’en ai pas besoin, répond Camil entre les feuillets par d’autres soulignements au crayon (…) Je pensais que M. Struțeanu avait apprécié dans la traduction de M. Murnu l’événement littéraire de l’année parce qu’il est facile de déclarer Homère plus talentueux que les messieurs publiant cette année un volume de poésies, de nouvelles !… Cette traduction est encore compliquée par l’immixtion du traducteur dans le fond de l’œuvre. Traduit-on Homère en style de vieille magicienne ? Les dieux, les déesses, les vents, les eaux, les héros de ces rivages portaient-ils des sandales paysannes ?…(Car Pallas y est en sandales ! - opinci - ) ». (Aderca, 1983 : 157-158). Pour finir, Aderca formule son grief principal : l’adaptation est jugée géniale par des professeurs. (« Le front de Murnu est revêtu des lauriers du génie et la critique universitaire se prosterne devant lui comme s’il était Homère en personne ») (Aderca, 1983 : 159). La polémique initiée par C. Petrescu vise-t-elle l’immixtion de cuistres dans un domaine jouant de la promotion/émergence d’écrivains, potentiellement tous traducteurs ? Aderca et/ou C. Petrescu souhaitent-t-ils souligner le caractère militant du travail du traducteur intime du politicien aroumain sécessionniste Alchiviad Diamandi di Samarina ? On observe pour finir que Murnu, sympathisant de la Garde de Fer, né dans l’Empire Ottoman, mort à Bucarest, n’a pas été inquiété après la deuxième guerre mondiale, en raison de son prestige et son grand âge.
3.3.10. Existe-t-il une censure visant spécifiquement des traductions ?
Entre les deux guerres mondiales, des écrivains traducteurs sont l’objet de procès pour pornographie. C’est le cas de Mircea Eliade avec Domnişoara Cristina [Mademoiselle Christina] (1936) qui n’est pas une traduction, de Felix Aderca avec Le Deuxième amant de Lady Chatterley (procès de 1934).[21] Est-il adéquat de nommer « censure » ce qui coïncide éventuellement avec un vide institutionnel ? Un résultat de conflit entre « censure militaire » et « censure civile » comme le suggère une lettre de Felix Aderca à B. Fondane à propos du procès intenté à son Deuxième amant de Lady Chatterley, adaptation/variation traductive sur le livre de D.H. Lawrence ? [22].
Les écrivains roumains ne bénéficieraient pas de l’assistance étatique accordée aux créateurs par les gouvernements des pays voisins : ce qui équivaut à une censure effective des Roumains au niveau international, suggère Mircea Eliade. Les auteurs hongrois bénéficient pour leur œuvre « d’un bureau spécial des traductions » (en langues étrangères). Les écrivains bulgares sont assistés. Le Mexique, la Russie communiste, exportent leurs écrivains (par la traduction ?) énumère M. Eliade dans sa comparaison défavorable pour la Roumanie (13 janvier 1935), (Eliade, 1990, vol.2 :45-47). Une censure renforcée est-elle corollaire « du sentiment de pénétration dans un monde n’ayant plus rien à voir avec la Roumanie d’avant la première guerre mondiale » ? À l’inverse, la soudaine industrialisation/modernisation de la Roumanie entraîne-t-elle une perte de repères intellectuels dont bénéficient par contraste les activités de publication et traduction des pays voisins ? « La Roumanie sortait en un éclair d’un long isolement provincial. Dans son voisinage immédiat, deux grands empires venaient de s’écrouler. La vague déclenchée par la Révolution russe avait englobé la Hongrie et la Bulgarie. » (Crohmălniceanu, 1978 : 264).
3.3.11. Les modalités d’exercice de la traduction sont-elles influencées par les identités nationales, sociales, etc. (choix des textes, mode de traduire, langue de la traduction) ?
Le choix de traduction (grec ancien, Homère) de G. Murnu et ses modalités sont déterminés par son identité macédonienne (inséparable de son activité de poète aroumain et traducteur en aroumain). La théorisation de sa pratique (traduction équivalence) est liée à sa propre prédestination, ethnique, pour la traduction d’auteurs de l’Antiquité grecque. À cette détermination revendiquée s’ajoute une spécialisation professionnelle, puisque le traducteur est archéologue, spécialiste du grec ancien, auteur d’études de dialectologie (Voir réponse en 3-2-7).
À plusieurs moments de l’histoire littéraire et traductive roumaine, la xénophobie (dont l’antisémitisme), présentée par Nicolae Manolescu à la suite de Florin Țurcanu comme constitutive de la structure intellectuelle d’écrivains majeurs (Ion Heliade Rădulescu, Eminescu, Hașdeu), a pu exclure de la pratique et de la théorie traductive des non autochtones. Ce courant d’exclusion aurait agi en Roumanie du romantisme à nos jours. « La xénophobie, antisémitisme compris, se situe (M. Eliade)[23] au carrefour de deux sensibilités enracinées dans l’histoire moderne de la Roumanie. D’une part, elle s’inscrit par filiation intellectuelle dans la lignée des romantiques xénophobes et antisémites du XIXe siècle (Heliade Rădulescu, Eminescu, Hașdeu) dont Eliade admire le « messianisme national » et pour qui le Juif est « l’étranger » par excellence. D’autre part, la xénophobie d’Eliade est un pur produit de l’entre-deux-guerres. Elle exprime les angoisses du nationalisme roumain d’après 1918, face à une réalité de l’après-guerre : le nombre et la consistance des minorités nationales se trouvant comprises entre les frontières de la Grande Roumanie » ( N. Manolescu, 2007 : 50).
Dans une série d’articles publiés dans Mântuirea en 1919, B. Fundoianu/ Benjamin Fondane souligne : Heine « est le poète étranger le plus diffusé en roumain ». Il analyse à la suite des passages transposés par Gr. N. Lazu : « un traducteur assidu », Cincinat Pavelescu, G. D.Pencioiu, Barbu Lazareanu, A. Toma (pseudonyme : Ștefan Tomșa), O. Iosif, Adrian Verea, O. Carp, Nemțeanu, Hildebrand Frollo et Steuermann Rodion « le traducteur le plus compétent, le plus sérieux du temps d’Eminescu » (Jutrin, 2009 : 66, 68, 69, 70, 71, 72,73, 77). La question de la qualité de la traduction comme dépendant de l’identité nationale et sociale du traducteur (roumaine ? juive ? allemande ?) est constamment sous-jacente dans les analyses de Fondane. Il conclue, en substance, que Heine ne peut être traduit, mais que dans la mesure où il est bien transposé, c’est en raison d’une appartenance juive du traducteur, nécessaire quoique non suffisante. « Heine est une personnalité complexe. Un traducteur ne peut avoir la même complexité : il ne peut lui être identique. Il empruntera soit la sensibilité de Heine, soit son imagination, soit son ironie ou son sarcasme. Nemțeanu traduit toute l’ironie, Iosif tout le lyrisme, Steuerman tout le sarcasme. » (Jutrin, 2009 : 75). « Il est vrai que la traduction de Nemțeanu est plus proche du texte d’origine mais elle n’est pas meilleure parce que plus récente. La sensibilité juive a trouvé en Steuerman une corde plus pure, qui vibre d’une sonorité plus profonde ». (Jutrin, 2009 : 75).
La question du « traducteur idéal ».
L’importance du « traduire » est liée à deux priorités, estime le critique P. Constantinescu en 1942, dans une analyse sur les traductions passées de la littérature roumaine : la transposition (assimilation ) de valeurs étrangères dans une culture, le transfert ne devant pas trahir le caractère national, la « parenté structurelle » devant unir le traducteur à l’œuvre à transposer. Les nations occidentales ont donné l’exemple du transfert réussi d’œuvres gréco-latines, mais aussi modernes, grâce aux traducteurs d’exception suivants : Baudelaire, Mallarmé, Rilke, Gide (Constantinescu, 1972 : 322). Le débat sur la traductibilité ou l’intraductibilité est dépassé, dans la mesure où « la structure esthétique » des langues confrontées intervient comme problème consciemment assumé. Une adéquation de « structure esthétique » se produit en cas de manifestation du « traducteur idéal », estime P. Constantinescu. Le traducteur idéal est d’abord un écrivain de premier plan, auteur d’une œuvre personnelle. Le poète Tudor Arghezi, grâce à sa faculté d’invention verbale serait le traducteur idéal de Rabelais. De même, sa religiosité de clerc orthodoxe lui permettrait de transposer Baudelaire dont il restituerait l’inspiration religieuse. Déjà, il a « autochtonisé » La Fontaine. Si la traduction roumaine a eu la chance de trouver un « interprète d’exception » d’Homère en G. Murnu, « véritable rhapsode ayant inventé une expression capable d’autochtoniser l’Iliade et l’Odyssée », E. Lovinescu a su affirmer que « le traducteur idéal » de l’Odyssée aurait été le romancier Ion Creangă (1837 ?- 1889). « Le fabuleux structurel de ce grand conteur est si apparenté au fabuleux homérique que Creangă eût pu recréer dans notre langue un univers poétique où vivre comme chez soi ». (Constantinescu, 1973 : 322)
3.3.12. Des traductions ont-elles joué un rôle dans l'évolution des idées et de la société ?
La traduction de Lamartine au début du XIXe siècle joue un rôle majeur : toute une génération d’auteurs assume et adapte le modèle de Lamartine, vu comme écrivain exemplaire, représentant d’une transition entre néoclassicisme et romantisme, c’est-à-dire entre imitation des modèles et modernité (Antofi, 2009 : 58-59), « Le modèle de Lamartine (…) féconde l’esprit de la littérature roumaine en plein processus d’affirmation.» (Antofi, 2009 : 59 ). Le culte de Lamartine est entretenu par I.H. Rădulescu.
SOURCES
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[1] Écrivain, philologue, homme politique, membre fondateur et premier président de l’Académie roumaine.
[2] Ce terme devient, au XXe siècle, une clé de compréhension de la culture roumaine s’efforçant d’intégrer l’Occident (et assimilant en retour les valeurs occidentales). Ainsi Eugen Lovinescu (1881-1943), ancien élève de E. Faguet à Paris, est l’auteur de la théorie du synchronisme.
[3] Voir H. Bonciu, http://www.crispedia.ro/H_Bonciu
[4] Lucian Blaga (1895-1965). Originaire de Transylvanie, ayant soutenu sa thèse de doctorat en philosophie à Vienne, Lucian Blaga, fils de prêtre orthodoxe, est sans doute le plus important des philosophes roumains de l’entre-deux-guerres. Il a en particulier élaboré une métaphysique de la culture roumaine. Entré dans la carrière diplomatique en 1926, il a été en poste à Varsovie, Prague, Vienne (1932), à Berne et Lisbonne (1938). Il a été élu à l’Académie roumaine en 1937, est devenu professeur à l’Université de Cluj en 1940. Initialement proche du courant existentialiste et rationaliste de « Gândirea » fondant la roumanité dans un vécu orthodoxe, il a fini par s’en éloigner. Voir Lucian Blaga, http://fr.wikipedia.org/wiki/Lucian_Blaga
[5] Poète autrichien (1881-1932), directeur du Burgtheater à Vienne.
[6] Manfred a été traduit en russe en 1828, comme le mentionne Isabelle Després dans « Quelques essais du débat sur la traduction littéraire à Moscou au début du XIXe siècle », dans Essais sur le discours de l’Europe éclatée, n°18, 2002. Voir : Aspects de la traduction, http://www3.u-grenoble3.fr
[7] Gheorghe Coșbuc (1866-1918) : poète roumain de Transylvanie membre titulaire de l’Académie roumaine.
[8] Louis-Aimé Martin. « Plan d’une bibliothèque universelle », Paris, 1837, in -8°.
[9] F. Aderca est signalé comme traducteur en roumain de la trilogie de Shalom Asch : Petersburg, Varşovia, Moscova, par Ticu Goldstein dans De la Cilibi Moïse la Paul Celan, antologie din operele scriitorilor evrei de limbă română [De Cilibi Moise à Paul Celan, anthologie d’œuvres des écrivains juifs de langue roumaine, Editura Hasefer, București, 1996, p.195.
[10] Voir le volume (Hasefer, 1996) évoqué dans la note précédente.
[11] Voir Camil Petrescu (1894-1957), http://ro.wikipedia.org/wiki/Camil_Petrescu
[12] Homère a, en effet, été traduit pour la première fois en roumain au XIXe siècle (Iliade), en 1937 par Constantin Aristia, ayant par ailleurs publié en grec à Paris une Ode à L’Hellade (1829) dédiée à Korais. Voir questionnaire Littérature profane 2-2-1.
[13] Cours d’eau traversant Bucarest.
[14] (1907-1986). Il s’agit du romancier et historien des religions mondialement connu, alors journaliste littéraire et culturel dans la capitale roumaine, parallèlement à son activité de philosophe, romancier, militant très tôt pour l’extrême droite, élève du philosophe Nae Ionescu, maître à penser aussi de Mihail Sebastian évoqué plus bas.
[15] Ibid, p.83. « D. Nandris cunoaşte, probabil, foarte bine limba polonă, dar nu ştie româneşte. ». Gr. Nandriș est né en 1895 près de Cernăuți (Cernowitz en Bucovine). Étudiant à l’Université de Bucarest entre 1915 et 1919, il organise en Transylvanie la résistance contre l’armée hongroise. En 1919, il réussit ses examens à l’Université de Bucarest (section classique et moderne). Aidé financièrement par son frère, il suit les cours de spécialisation en Philologie Slave et Indo-Européenne à Vienne. Entre 1920 et 1923, il est lecteur roumain à l’Université de Cracovie où il obtient parallèlement le titre de docteur. Il approfondit ses recherches linguistiques à l’occasion d’une bourse de deux ans à l’École Roumaine de Fontenay-aux-Roses, à l’École Pratique des Hautes-Études et à l’Inalco. En 1929, il est nommé professeur extraordinaire à la Chaire de Philologie de l’Université de Cernăuți. En 1940, il est député de Suceava au Parlement de Roumanie. Envoyé en mission diplomatique en Angleterre et en Irlande ( …) pour une courte période, bloqué par la guerre, il ne reviendra jamais en Roumanie. Il enseignera en Angleterre jusqu’à la fin de sa vie.
[16] Gheorghe Sion (1822 Mamornita, aujourd’hui en Ukraine, - 1892 Bucarest), déjà mentionné dans le Questionnaire Littérature profane. Écrivain roumain de Bucovine, il a été membre titulaire de l’Académie roumaine à partir de 1868. En 1848, il a pris part au Mouvement révolutionnaire de Moldavie. Il a traduit des classiques et romantiques français. Voir http://ro.wikipedia.org/wiki/Gheorghe_Sion
[17] Signalé par M.Sebastian, ibid, « Notă la o antologie de critică », p.471.
[18] M. Eliade, pendant sa jeunesse, semble avoir fait preuve à la fois d’une italionophilie traditionnelle en Roumanie (conforme à la tradition de l’École transylvaine) et personnelle (promussolinienne), comme le fait apparaître sa relation de voyage Itinéraire italien, traduite du roumain par Alain Paruit (texte précédé de Contribution à la philosophie de la Renaissance, Gallimard, 1992).
[19] Lucian Blaga (1895-1961). Philosophe, théologien poète roumain. A soutenu sa thèse de doctorat en philosophie à Vienne en 1920. A élaboré au cours des années 1930 une métaphysique de la culture roumaine. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Lucian_Blaga
[20] Perpessicius (Dumitru S. Panaitescu) 1891-1971 : essayiste, critique, historien littéraire, auteur de fiction, folkloriste, poète d’avant-garde.
[21] Voir note 10 (non signée) de la « Correspondance avec Felix Aderca » (B. Fondane/ F. Aderca), traduite du roumain par H. Lenz. « Cahiers Benjamin Fondane », n°4/ 2000- 2001, p.67-79. La note de cette correspondance (tr. H.Lenz) ne précisait pas si le roman de D.H. Lawrence, traduit par Aderca (L’amant de Lady Chatterley) a été publié en roumain en version non expurgée ou si Le deuxième amant, signé d’Aderca, en constituait un digest ou, à l’inverse, une variation.
[22] « Correspondance avec Felix Aderca », « Cahiers Benjamin Fondane », ibid. « Très cher Fundoianu, (…) J’ai trouvé ici à Bucarest un incroyable scandale provoqué par la censure militaire en conflit avec la censure civile ayant permis la parution de mon roman. Sont intervenus : le procureur général, auquel les militaires ont transmis une plainte et, naturellement, les journaux antisémites. Des rumeurs affligeantes ont circulé : je me serais enfui pour éviter d’avoir à répondre, l’État roumain serait entré en contact avec tous les autres États pour que j’en sois extradé, etc. » (lettre du 11 avril 1934), p.70. « Mon procès se transforme en roman à son tour : je parle du Deuxième amant de Lady Chatterley, absous par le premier procureur, homme cultivé et fin, mais non par le juge d’instruction, spécialisé dans la criminalité ordinaire. C’est aujourd’hui qu’il a fait part de son avis, opposé à celui du premier juge. J’aurai donc un procès. Son déroulement, je te le communiquerai en vue de t’amuser un peu. » (lettre du 15 juin 1934), p.72. Trad. H. Lenz.
[23] Ce passage de l’article de Nicolae Manolescu, « Essai de portrait » analyse l’antisémitisme de Mircea Eliade (non racial, non théologique). Cet antisémitisme est en dépendance à une sensibilité politique découverte dans l’Inde de Gandhi, il s’accorde parallèlement avec un culte de l’héroïsme et du sacrifice suprême déjà en germe dans les idéaux de l’Hétaïriste Tudor Vladimirescu. « Tudor Vladimirescu ne disait-il pas, à la veille de son soulèvement, qu’il revêtait la chemise du condamné ? C’est le romantisme mystique précoce et naïf de la société, à l’aube de la Roumanie moderne qui inspire Eliade plutôt que le fascisme de ses contemporains du XXe siècle ». (Manolescu, 2007 : 50-51).