Auteur : Marie Vrinat-Nikolov
3.1. Cadre général introductif
La libération de la Bulgarie de la domination ottomane en 1878, la création d'un État-Nation (principauté puis royaume de Bulgarie) avec sa constitution (1879) très libérale, inspirée de la constitution belge, et ses institutions, l'industrialisation, l'essor des imprimeries et des librairies sont autant de facteurs qui changent la situation culturelle du pays, notamment pour la traduction. Les imprimeries sont rapatriées à l'intérieur du royaume bulgare et se développent très vite dans les grandes villes (Plovdiv, Tarnovo, Sofia, Choumène, Varna, Bourgas, Stara Zagora, etc.) : on compte 152 imprimeries en 1901, 203 en 1920. Durant les deux premières décennies du XXe siècle, Sofia concentre 49 % de la production de livres et 48 % de la presse périodique (119 journaux en 1900 et 53 revues).
Dans les années 1920, on imprime 1700 titres par an, 2000 dans les années 1930, avec un tirage moyen de 1000 exemplaires. Dans l'entre-deux-guerres, le nombre de titres édités par habitant est parmi les plus élevés d'Europe : 1 pour 1900, alors qu'en Allemagne il est de 1 pour 2000, en Norvège de 1 pour 2120, en France de 1 pour 2660 (Eнциклопедиябългарскакнига 2004, p. 235).
Les librairies se développent elles aussi, telle celle de Todor Tchipev qui crée en 1891 une maison d’édition avec sa propre librairie et un centre de distribution des livres. Il édite littérature originale et traduite qu'il vend sur catalogue. Certaines d'entre elles se rassemblent en coopératives après les guerres balkaniques et la Première Guerre mondiale. Quelques librairies, à Sofia, sont spécialisées dans la vente de littérature étrangère dans l'original et en traduction, comme celle de Yanko Kovatchev.
Cependant, le pourcentage d'analphabètes reste élevé : en 1887, 10,7 % seulement des Bulgares savent lire ; ils sont 23,9 % en 1900. En 1910, 1/3 des hommes savent lire, mais seulement 1/4 des femmes. La différence d’alphabétisation est très grande entre la population urbaine et celle des campagnes.
En 1921, la Bulgarie ratifie la Convention internationale de Berne signée en 1886 : c'est la première loi sur les droits d'auteur dans le pays.
Notons qu'en matière de littérature, durant les années 1890, on édite davantage de traductions que d'œuvres originales.
3.1.1 À quel moment apparaît dans votre littérature la quête de modernité incarnée par les avant-gardes littéraires ?
Après la libération de la Bulgarie de la domination ottomane en 1878 et l'édification d'un État-nation, les années 1890 voient monter une jeune génération qui a fait ses études à l’étranger, est au fait des idées et œuvres les plus modernes de l’Europe occidentale et souhaite combler le retard de la littérature bulgare. D'autre part, une tension forte est à l'œuvre dans la Bulgarie qui se construit : d'une part, l'aspiration d'une grande frange de la société à rattraper très vite le retard accumulé dans tous les domaines, de l'autre, le rythme plus lent avec lequel s'effectue la transition entre un mode de relations patriarcales primitives, une organisation traditionnelle et collective du travail, et l'émergence de l'individu, d’une société civile. Dans ce contexte de désir de synchronisation de la littérature nationale avec les littératures russe et occidentales, la traduction est appelée à jouer un rôle central.
Traditionnellement on distingue trois étapes dans ce renouveau des lettres bulgares en 1890 et 1923 :
1) le cercle Missal (Pensée), formé autour de la revue du même nom, fondée en 1892 par le docteur Krastio Krastev (1866-1919) et animé par Pentcho Slaveïkov (1866-1912), dont la personnalité domine le groupe, le dramaturge Petko Todorov (1879-1916) et le poète Peïo Yavorov (1878-1914) qui devait ouvrir la voie au symbolisme bulgare. Jusqu'en 1907, il symbolise le bouillonnement des idées et le renouveau culturel du début du XXe siècle.
À l'exception de Yavorov, les membres du cercle Missal se sont formés à l'étranger, principalement en Allemagne. Pentcho Slaveïkov séjourne à Leipzig de 1893 à 1899, où il fait des études de philosophie. Imprégné des idées et des œuvres de Goethe, Heine, Schiller et des autres romantiques allemands, ainsi que de Nietzsche, il mûrit son propre credo poétique ainsi que son programme d'européanisation de la littérature bulgare :
« Mon activité de poète exprimant une certaine conception esthétique de la vie est claire depuis déjà une dizaine d'années. Les diverses balivernes que j'ai griffonnées avant cela, lorsque les cerises étaient encore vertes, sont à mettre sur le compte de la jeunesse ; or, au moment de la jeunesse, mêmes les balivernes ont du sens. Plus tard, sous l'influence de la poésie russe et de la littérature critique française, puis sous le patronage de la poésie de Goethe et de Heine, j'ai rejeté de moi les conceptions banales vendues peu cher sur le marché aux puces de la pensée humaine. » (Пенчо Славейков, 1959, p. 181).
Voulant concilier l'étranger et le national au nom de l'universel et dépasser les tendances collectives et populistes repliées sur la terre natale, il critique le caractère conjoncturel de l'œuvre de ses prédécesseurs ou contemporains repliés sur le passé et s'afflige de l'état de la littérature, de la banalité de la vie culturelle dépourvue, selon lui, de toute aspiration spirituelle. Ce conflit de générations est demeuré célèbre dans l'histoire de la littérature bulgare, symbolisé par la fameuse étude du docteur Krastev intituléeJeunes et Anciens, Esquisses littéraires sur la littérature bulgare d'aujourd’huiet parue en 1907.
Le tournant du siècle est donc aussi un tournant pour la littérature bulgare qui, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ne pourra plus échapper au dilemme du « natal » et de l’étranger, à l’aspiration de rejoindre les grands courants, les grandes œuvres des littératures considérées comme plus « avancées », aux polémiques, déclarations et manifestes, au conflit toujours renouvelé entre « Anciens » (le « réalisme ») et « Jeunes » ou « Modernes ». C’est là tout le sens du modernisme bulgare.
2) Le symbolisme : la critique fait généralement remonter la genèse du symbolisme à 1907, avec la parution du recueil Regina Mortuade Teodor Traïanov (1882-1945). Antiréalistes et antipositivistes, les symbolistes reprennent les conceptions philosophiques et esthétiques de Schopenhauer, Nietzsche, Bergson, Baudelaire, Mallarmé, Merejkovski, Przybyszewski. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le symbolisme n’a pas encore de plateforme théorique bien définie, il faut attendre pour cela la création de la revue Le Chaînon[1] (1914), qui rassemble quasiment tous les créateurs se réclamant de ce courant. Une part importante est consacrée aux symbolistes étrangers, traduits par leurs collègues bulgares désireux de les faire connaître au public : Baudelaire, Verlaine, Nerval, Mallarmé, Maeterlinck, Verhaeren, Samain, Moréas, Von Hofmannsthal, Dehmel, Merejkovski, Blok, Balmont, Sologoub, Brioussov et bien d’autres.
Il est symptomatique que le débat sur le symbolisme s'ouvre par une lettre adressée en 1912 par le critique Ivan Radoslavov à l'écrivain Petko Todorov, portant pour titre : « Baudelaire ou Tourgueniev ? » Le prétexte en est la publication des Poèmes en prosede Tourgueniev traduits par Petko Todorov et précédés d'un avant-propos du traducteur. S'opposant à Petko Todorov qui qualifie l'œuvre de Baudelaire, Maeterlinck et Przybyszewski de « malsaine, changeante et non authentique », c'est de sa position d'écrivain, critique et traducteur que Radoslavov expose le credodes symbolistes.
On doit les textes théoriques les plus importants de cette époque sur le symbolisme à Guéo Milev (1895-1925) qui appelle à dépasser les chaînes de la tradition, du passé, du « natal », à puiser à la source que doit être l’âme du poète, âme moderne et universelle : « Nous ne somme ni ne pouvons être étrangers à l’art français, russe ou allemand. C’est un fait qui résout à l’avance la question de l’art national. [...][2]
3) Les avant-gardes : les trois guerres consécutives (deux guerres balkaniques de 1912-1913, Première Guerre mondiale) forment une nouvelle génération qui se démarque des précédentes par ses idéaux, ses réactions, ses aspirations, le sentiment de dilution du Moi dans une masse anonyme, et l’idée selon laquelle des guerres, de la destruction et de la mort peuvent naître un homme et un monde nouveaux. Cette nouvelle culture qui prône l’énergie, la révolte, avec des accents qui ne sont pas sans évoquer le manifeste de Marinetti, s’incarne, dans la Bulgarie de l’entre-deux-guerres, plus orientée vers la culture allemande, dans plusieurs courants : expressionnisme (de loin le plus influent) de Guéo Milev, « diabolisme », futurisme, dadaïsme, imaginisme, cubisme, etc.
L’entre-deux-guerres est donc une période étonnamment fertile en débats et polémiques littéraires largement véhiculés par la presse périodique, elle aussi très féconde, et l'on s’interroge plus particulièrement sur le rapport entre le national et l’étranger.
Cela n'est pas sans incidence sur le mode de traduire : la visée didactique n'est plus l'unique motivation des traducteurs qui commencent à avoir des exigences esthétiques.
3.2. La pratique de la traduction
Qui traduit ?
3.2.1. Qui sont les traducteurs (origine sociale, formation, langue maternelle, statut social, conditions de travail et de rémunération ? sont-ils reconnus en tant que traducteurs, s’agit-il de leur activité principale ? etc.) ?
C'est dans les premières décennies du XXesiècle que l'on commence à débattre de la propriété intellectuelle. Les éditeurs sont de plus en plus nombreux à verser des honoraires à leurs auteurs et à leurs traducteurs malgré un vide juridique à cet égard. Très engagés dans la diffusion d'auteurs nationaux et étrangers, ils apportent autant que faire se peut un soutien moral et financier à leurs auteurs et traducteurs[3].
1. écrivains
Pentcho Slaveïkov (1866-1912), poète, traducteur : Anthologie de poètes allemands.
Konstantin Velitchkov (1855-1907), poète, traducteur : L'enfer de Dante Alighieri. Nombreux poèmes et pièces (entre autres de Pétrarque, Le Tasse, Molière, Shakespeare).
Ivan Vazov (1850-1921), poète, prosateur et dramaturge, traduit de nombreux poèmes (de Heine, Pouchkine, Lermontov, Mickiewicz, Nekrassov, Coppée, Byron, Neruda et bien d'autres, soit 129 pages de ses œuvres complètes).
Aleko Konstantinov (1863-1897), prosateur, pamphlétaire, traduit Pouchkine, Lermontov, Nekrassov, Molière. Avocat de profession.
Kiril Hristov (1875-1944), poète, traduit Lermontov, Pouchkine, Edmond Rostand, Shakespeare.
Nikolaï Liliev (1885-1960), poète, traducteur de Verlaine, Verhaeren, Mallarmé, Maeterlinck. Shakespeare.
Guéo Milev (1895-1925), poète, traducteur entre autres de Shakespeare, Mallarmé, Dehmel, Verhaeren.
Konstantin Konstantinov (1890-1970), poète, traducteur entre autres de Molière, Flaubert, Maupassant, Saint-Exupéry, Dante, Pétraque, Shakespeare, Sophocle, Théocrite, Horace, Pouchkine, Nekrassov, Heine.
Dimitar Podvarzatchov (1881-1937), poète, traducteur de Gogol, Dostoïevski, Tchékhov, Tolstoï, Shakespeare.
2. écrivaines
Ekaterina Karavelova [4] (1860-1947), auteur de feuilletons et de pamphlets, institutrice, traduit Maupassant, Courrier, Hugo, Gambetta, Flaubert, Dickens, Tolstoï, Dostoïevski.
Mara Beltcheva (1868-1937), poète, traduit Nietzsche, Hauptmann.
Dora Gabé (1888-1883), poète, traduit un grand nombre d’écrivains du polonais, du tchèque, du russe, du français et du grec.
3. universitaires
Alexandar Balabanov (1879-1955), lettres classiques, Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide, Goethe.
4. instituteurs
Trifon Trifonov (1866-1926), instituteur, homme politique, traduit de Shakespeare (à partir du russe) Coriolan (1888), Le Roi Lear(1890), Hamlet(1891), Macbeth et Romeo et Juliette (1907).
Bojil Raïnov (1857-1946), instituteur puis directeur des imprimeries nationales, homme politique, traduit 15 pièces de Shakespeare.
Que traduit-on ?
3.2.2. Quels genres de textes traduit-on ?
Une remarque préalable : au début du XXe siècle, on imprime autant de littérature traduite que de littérature originale.
On remarque un infléchissement des genres traduits au sein d'une littérature qui avait déjà pénétré la culture bulgare à l'époque précédente. Ainsi, on observe un essor de la traduction de pièces de théâtres : tragédies antiques, drames russes, comédies et drames français, anglais. C'est ce qui explique que, durant les dernières années du XIXe siècle, paraissent une vingtaine de traductions de pièces de Shakespeare, autant dans les deux premières décennies du XXe. En ce qui concerne la littérature russe, elle était surtout représentée, jusqu'à la Libération de 1878, par la poésie ; à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, on traduit également beaucoup de romans russes (Gogol, Tolstoï, Dostoïevski, Tourgueniev). Dans l'entre-deux-guerres, s'esquisse un autre phénomène : la traduction d'œuvres littéraires russes à portée sociale et politique (œuvres de Nekrassov, Saltykov-Chtchedrine, Tolstoï) dans le contexte de polarisation de la vie politique et de fort engagement des écrivains dans l'entre-deux-guerres.
De même, les années 1900-1920 sont celles d'une intense activité de traduction de la poésie et de la dramaturgie considérées comme les plus novatrices et les plus propices à moderniser la littérature bulgare (voir plus haut).
Classiques antiques et modernes : la traduction de textes du grec ancien s'intensifie pour les besoins de l'école qui se met en place dans le cadre de l'État-Nation, pour les mêmes raisons on commence à traduire aussi des textes du latin, langue très peu apprise avant la Libération de 1878 et connue alors uniquement des Bulgares catholiques, souvent hors des territoires bulgares. On traduit à partir de la fin du XIXe siècle Eschyle, Sophocle, Euripide, Platon, Ésope, Aristophane, Plutarque, Lucien ; Cicéron, Plaute, Juvénal, Tacite, Sénèque...
Littérature enfantine et d’aventure (Jules Verne, Mayne Reid, très populaire jusqu'à au milieu du XXe siècle, Conan Doyle).
Poésie et prose contemporaines (française, allemande, anglaise, italienne, russe, polonaise).
3.2.3. Peut-on constater à cette époque une réduction de l’écart entre la date de parution d’une œuvre dans la langue originale et la traduction ?
Oui, c'est à partir du début du XXe siècle que l'écart entre les dates de parution des originaux (ou de représentations théâtrales) et de leur traduction se réduit. Certaines traductions paraissent quelques mois ou un an après la parution de l'original (ou la représentation de la pièce originale) : la pièce d'Oscar Wilde intitulée Saloméest jouée pour la première fois en 1905 en Grande-Bretagne (après la mort de l'auteur), elle est traduite un an après en bulgare, en 1906, par un traducteur anonyme. La plupart des romans de Conan Doyle paraissent en bulgare peu de temps après la parution des originaux ; quant au Chien de Baskerville et au Retour de Sherlock Holmes, ils paraissent en bulgare en 1902 et 1903 avant même la parution complète des originaux.
Le poème « Les douze », d'Alexandre Blok, est publié en 1920 (soit deux ans après la parution de l'original russe) simultanément dans la revue Tcherven smiah [Rire rouge] [5], dans une traduction de Dimitar Ossinine et dans la revue Vezni [Balance][6], traduit par Guéo Milev, fondateur et rédacteur en chef de la revue, écrivain engagé dans les avant-gardes et dans la vie politique, à gauche. Milev le fait paraître un an plus tard, en 1921, comme livre. L'écrivain et traducteur Lioudmil Stoyanov écrit, dans ses mémoires : « Guéo était grisé par ce poème, pour lui, c'était le témoignage que dans l’incendie de la révolution naissait une poésie nouvelle[7] ». Cette traduction produit une grande impression sur les écrivains bulgares de la génération des années 1920.
De manière générale, les représentants du mouvement Młoda Polska (jeune Pologne), très actifs dans leur pays de la fin du XIXe siècle à la Première Guerre mondiale, sont abondamment traduits en Bulgarie dans les années 1900-1920.
De même, Ibsen et Hamsun sont traduits en général très peu de temps après leur publication originale. En 1931, le public bulgare dispose de l'œuvre dramatique complète d'Ibsen dans sa langue. En 1928-1929 paraissent 12 tomes de Hamsun.
3.2.4. Y a-t-il à cette époque des changements dans la géographie de la traduction (origine des œuvres traduites) ? S’ouvre-t-on à des littératures non traduites jusque là ? si oui, lesquelles ?
Si les littératures française, russe, allemande et anglophone demeurent dominantes (par exemple, entre 1878 et 1900 on a environ 200 traductions de Tourgueniev), le début du XXe siècle voit la traduction s’ouvrir à d'autres langues, slaves : ukrainienne (à partir des années 1910-1920, le public bulgare peut ainsi découvrir, d'abord par l'intermédiaire de l'allemand ou du polonais, puis en traduction directe de l'original, des auteurs socialement et politiquement engagés comme Ivan Franko, Vassil Stefanik, Olga Kobylianska), tchèque (à la faveur de l'importante présence de musiciens, luthiers et peintres tchèques en Bulgarie après la Libération de 1878), biélorusse (publiée notamment dans les revues de gauche, telles Nakovalnia [L'Enclume] ou Rabotnitchski literatouren front [Front ouvrier littéraire][8]), latine (cf. plus haut), mais aussi scandinaves (Hamsun, Ibsen, Sigrid Undset, Bjørnson, Strindberg, Selma Lagerlöf, Karin Michaelis, Brandes, Andersen, Jacobsen, Jensen), le plus souvent par l'intermédiaire du russe et de l'allemand.
Du côté des littératures balkaniques, on traduit relativement peu du grec moderne, un peu plus du roumain (récits et romans sociaux d'Alexandru Vlahuţă traduits par l'intermédiaire du français, des poèmes d'Eminescu et de Stoenescu, des pièces de Ion Caragiale, Panait Istrati), relativement peu également du turc, mis à part des poèmes modernistes de Namık Kemal, Tevfik Fikret, Abdulhak Hamid, Recaizade Mahmut Ekrem, insérés dans l'anthologie poétique Fleurs de tous les champs [9], d'Ivan Andreïtchin, deux poèmes de Tevfik Fikret publiés dans la revue de gauche Nakovalnia [L'Enclume], en 1926. Il faut attendre les années 1930 pour que Nazım Hikmet soit traduit en bulgare. En 1912, dans un article intitulé « La nouvelle poésie turque », Ivan Arnaoudov déclarait que « les Orientaux nе sauraient créer des œuvres fortes et durables, car leur littérature manque de créativité. »
Certaines littératures (albanaise, estonienne, par exemple) ne commencent à être traduites qu'à partir des années 1950.
3.2.5. Citez quelques textes emblématiques traduits à cette époque (s’il y en a), titres et dates.
Dante Alighieri, L'Enfer, trad. Konstantin Velitchkov, 1897 dans plusieurs numéros de la revueMissal.
Konstantin Velitchkov et Ivan Vazov, Chrestomathie bulgare [10], 2 tomes, prose et poésie, 1884 (contient pour la prose des traductions d'Andersen, Buffon, Veltman, Karamzine, George Sand, Rousseau, Châteaubriand, Voltaire, Courier, Béranger, Michelet, Jireček, Walter Scott, Cervantes, Lesage, Pouchkine, Gogol, Hugo, Dickens, Tourgueniev, Cicéron, Mirabeau, Gambetta, Fénelon et autres ; pour la poésie des traductions de Mickiewicz, Théocrite, Homère, Dante, Camões, Le Tasse, Byron, Lermontov, Pouchkine, Hugo, Horace, Juvénal, Lessing, Viazemski, Lamartine, Nekrassov, Schiller, Heine, Neruda, Vrchlicky, Tennyson, Burnes, Sophocle, Aristophane, Molière, Corneille, Goethe, Shakespeare, Burns).
Goethe, Faust, trad. Alexandar Balabanov, 1906/1927.
L'histoire de cette traduction est intéressante et mérite d’être mentionnée. Alexandar Balabanov a étudié les lettres classiques au Lycée des lettres classiques de Sofia puis à l'université de Leipzig. À son retour, il enseigne le grec pendant plus de dix ans dans un lycée de garçons, avant d'être nommé à l'université de Sofia. En 1905, il fait la connaissance de l'éditeur Pavel Guenadiev, qui lui propose de traduire directement de l'allemand la première partie du Faust de Goethe pour le publier dans un supplément gratuit à l’occasion du quatrième anniversaire de la revue Biblioteka. Balabanov ne s’exécutant pas assez rapidement, il commence par le menacer de faire lui-même la traduction par l’intermédiaire du russe en la publiant sous le nom de Balabanov. L'argument ne se révélant pas assez convaincant, il l'enferme de force pendant un mois chez un ami à Plovdiv, lui assurant le gîte et les repas. Chaque soir, l'ami en réfère à l'éditeur et lui communique le nombre de vers traduits. Balabanov est contraint de s'exécuter... un peu trop vite semble-t-il, car la traduction ne satisfait ni son auteur, ni son éditeur, mais elle paraît tout de même. En 1927, elle est rééditée à Sofia dans une version revue par Balabanov, qui obtient la médaille Goethe en 1932.
Shakespeare, Hamlet : traduit pendant la période qui nous intéresse ici par Trifon Trifonov (1891, à partir du russe et de l'allemand), Bojil Raïnov (1896), Guéorgui Bakalov (1900), Petar Guenkov (1911), Dimitar Podvarzatchov (1911), Guéo Milev (1919).
Oscar Wilde, Salomé, traduit en bulgare en 1906 (traduction anonyme du russe). Très appréciée, cette pièce joue un rôle formateur important pour la dramaturgie bulgare et son européanisation. Elle est retraduite en 1910 par le poète Peyo Yavorov à partir de l'original (Wilde a écrit sa pièce en français).
Anthologie Polski poèti [Poètes polonais][11], 1921, sous la direction et dans la traduction de Dora Gabé, poète et traductrice. Cette anthologie réunit 27 auteurs et 67 titres (dont Mickiewicz, Słowacki, Norwid, Krasiński).
Comment traduit-on ?
De manière générale, le mode de traduire dominant, en cette période d'explosion des traductions, demeure dans le sillage de celui de la Renaissance nationale : certes, on bulgarise moins (presque toujours les noms propres cependant), la visée didactique n'est plus l'unique motivation des traducteurs qui commencent à avoir des exigences esthétiques mais on continue à beaucoup traduire par l'intermédiaire d'une autre langue (si ce n'est deux !) : c'est le cas, par exemple, de Trifon Trifonov qui traduit de Shakespeare Coriolan, le Roi Lear, Hamlet, Macbeth et Roméo et Juliette entre 1888 et 1907 à partir d'une traduction en russe, avec l'effort louable de les donner en vers. Ou encore du Paradis perdu de Milton, traduit en 1888 par Dimitar Voïnikov à partir d'une traduction russe réalisée elle-même à partir de la traduction française de l'abbé Delille (elle-même dans le sillage des Belles Infidèles) ! En 1898, c'est encore par l'intermédiaire du russe et du français que Teodossi de Skopje donne sa version du Paradise lost, Durant tout le XIXe et la première moitié du XXe siècle, le très populaire Robinson Crusoé de Defoe est traduit tout à tour à partir du grec, du russe et de l'allemand. Il faut attendre 1937 pour avoir enfin une traduction à partir de l'original, faite par l'écrivain Vladimir Polianov. La plupart des traductions du tchèque se font par l'intermédiaire du russe ou de l'allemand ou en tandem.
La langue à partir de laquelle on traduit (le plus souvent le russe) ne semble pas toujours bien comprise ni maîtrisée ; quant à la langue cible, elle est souvent truffée de turcismes, de russismes, mots dialectaux et archaïques, expressions littérales, registres différents, ce qui fait qu'un grand nombre de ces traductions ont vite vieilli. Plus on avance dans le XXe siècle, cependant, moins on trouve de mots d'emprunt dans la langue des traductions.
On continue à sabrer, enlever, ajouter, commenter le texte traduit, le nom de l'auteur (plus rarement celui du traducteur) peut ne pas être mentionné : ainsi, la traduction de The Bride of Lammermoor, de Walter Scott, faite en 1899 à partir du russe, est anonyme.
Ces pratiques feront dire au Docteur Krăstev : « Avec les traducteurs bulgares, il faut se battre non pas sur les principes, mais sur le B.A.BA de la traduction. »
3.2.6. Formule-t-on des exigences concernant le respect du texte traduit, la mention du nom de l'auteur du traducteur, la nécessité de traduire directement à partir de la langue originale ?
Toutes ces exigences sont directement formulées, sans être toujours suivies d'effet (de plus en plus cependant tout au long du XXe siècle) :
« Et tant que nos traducteurs n'arrêteront pas de traduire à partir de traductions, notre littérature traduite sera dépourvue de tout sens. Mais le public ne pourrait-il pas, avec l'aide de la critique, débarrasser les traducteurs de cette mauvaise habitude ? N'est-il pas temps de déclarer une guerre impitoyable à ces traductions de traductions, du moins en poésie, sinon dans la littérature scientifique ? Quelqu'un qui achète en toute conscience des livres étrangers traduits devrait en principe ne pas encourager une pratique aussi inconsidérée, ne pas acheter un livre traduit de seconde main (…). Sans cela, nos lettres risquent de se transformer en poubelle de marché aux puces où c'est ce qui est le moins cher qui trouve le plus d'acquéreurs, tandis que personne ne s'enquiert de ce qui est bon. » (B.B. à propos de la traduction de Pêcheur d'Islande de Pierre Loti, traduit - de quelle langue ? - par St. Atanassov – Missal, 1901).
3.2.7. Trouve-t-on des réflexions et/ou des débats sur la traduction ? Sur quoi portent-ils ?
Les réflexions sur la traduction ne manquent pas, on les trouve en particulier dans les rubriques critiques des revues. En tout cas, il n'y a toujours pas de traité ou de livre consacré à la théorie de la traduction. Les grandes questions débattues sont les suivantes :
Quel est le rôle de la traduction et quels textes (auteurs) doit-on traduire ?
Pour le docteur Krastev, rédacteur en chef de la revue Missal, aussi bien que pour Pentcho Slaveïkov, la traduction a un rôle de premier plan à jouer dans le renouvellement des lettres bulgares et dans l'éducation esthétique du public, comme en témoigne cette déclaration du docteur Krastev :
« Le devoir le plus difficile et le plus sacré d'une revue littéraire bulgare est de développer le goût esthétique de notre public. (…) D'abord, il doit y avoir dans les revues des critiques objectives et détaillées qui puissent guider le goût du lecteur en lui montrant et en lui prouvant ce quiest beau et pourquoic'est beau. (…) Deuxièmement, il faut des récits légers, non complexes par leur contenu, qui apprennent au lecteur à lire et à s'intéresser à la littérature. (…) La troisième condition au développement esthétique d'un public aussi primitif et rudimentaire que le nôtre réside dans le fait de mettre dans les mains du public des traductions modèles des classiques."
Il s'agit donc de traduire en priorité les littératures russe, allemande, française et anglais.
Dénonciation d'une certaine « traductomanie » :
« M. Bakalov s'est montré assez malin pour nous traduire en prose la fameuse comédie de Griboïedov Le malheur d'avoir trop d'esprit. Un tel exploit ne peut être le fait que d'un énorme mauvais goût en littérature ou d'une traductomanie encore plus énorme ! Nous estimons son désir louable de donner à la littérature bulgare tout ce qu'il trouve bon et utile mais nous n'arrivons pas à comprendre comment, dans son engouement, il ne voit pas que par son manque de discernement il nuit autant à la littérature qu'à cette belle œuvre. Ou bien est-ce que M. Bakalov est désormais dans l'incapacité de voir un livre russe sans le traduire !? » (L.S. – Missal, 1897)
Exigence de rigueur et d'exactitude :
C'est à une critique complète de cinq pages, méthodique, illustrée, intitulée ironiquement « Un traducteur exemplaire », que se livre V.M. (Missal, 1902) à propos de la traduction de Quand nous nous réveillerons d'entre les morts d'Ibsen, faite (de quelle langue ?) par les éditions Plovdiv ; tout y est blâmé : l'ignorance et l'outrecuidance des traducteurs contemporains, la méconnaissance du rôle de premier plan joué par les traductions pour le développement d'une jeune littérature :
« Nous avons pu remarquer maintes fois jusqu'à présent l'ignorance phénoménale et le culot criminel des traducteurs bulgares, qui se manifestent à l'égard non seulement de ce qu'on pourrait appeler les créations banales de la littérature étrangère, mais aussi des œuvres de toute première importance, dont ils ne sont pas capables de pénétrer la profondeur, encore moins de la comprendre et de la rendre dans leur langue maternelle. (…) Si, du fait que le marché du livre est inondé d'innombrables traductions d'œuvres médiocres, l'existence de livres bulgares originaux de plus grande valeur est devenue impossible, la mutilation des génies littéraires étrangers, à commencer par les drames de Shakespeare pour finir par les récits de Maupassant et de Tchekhov, rend impossible l'existence de bonnes traductions d'auteurs célèbres. Or ils ont, comme chacun sait, une importance énorme pour le développement d'une jeune littérature. (…) Le livre que nous avons devant nous et qui nous amène à faire ces remarques amères réunit en lui toutes les qualités de la nullité classique des traducteurs. Vous y trouverez duperie, ignorance, incurie, incapacité de comprendre les moindres finesses et allusions littéraires. Nous allons le démontrer point par point. »
Faut-il traduire en gommant la traduction ou au contraire en respectant l'étrangeté du texte étranger ?
L'opinion qui prévaut est qu'il faut viser avant tout l'élégance et l’effacement de la traduction. Ainsi, Ivan Platchkov déclare que « la meilleure traduction est celle qui ne ressemble pas à de la traduction, c'est-à-dire celle qui ne rappelle pas l'original par la langue et qui ne sent pas l'étranger par le contenu. Nous avons beau avoir accumulé du retard en tout point par rapport aux autres Européens, notre vie, surtout depuis la Libération, ressemble par bien des aspect à la vie des autres Européens. Ce sont justement ces aspects de notre vie que doivent avoir en vue nos traducteurs ; et lorsqu'ils traduisent, ils doivent nous donner l'illusion de ne pas traduire mais d'écrire une œuvre originale. » (Missal, 1894). À l'opposé, toujours dans un numéro de Missal, presque dix ans plus tard (1903), l'écrivaine Anna Karima se prononce contre l'effacement de l'étranger à propos de la traduction de La Cerisaie de Tchekhov, faite à partir du russe par A. K. Kirčev : après avoir dressé un tableau noir de la traduction, elle exprime l'idée qu'il est dommage de gommer l'étranger d'une œuvre, notamment en ce qui concerne les proverbes : enfin, pour elle, l'élégance et l'aisance seules ne font pas la bonne traduction.
Condamnation de la traduction indirecte
Ne pas distinguer le fond et la forme
Dans un article intitulé « Histoire d'un petit poème », Pentcho Slaveïkov confronte et analyse diverses traductions (en bulgare, français, anglais, russe) du poème de Heine, « Ein Fichtenbaum ». Procédant tout d'abord à une analyse textuelle qui met en évidence aussi bien les caractéristiques à la fois linguistiques et culturelles de ce poème que les difficultés qu'il présente pour le traducteur, il confronte soigneusement les traductions données, tout en ayant la modestie de ne pas parler de la sienne. Il en ressort plusieurs exigences modernes de fidélité au texte : respecter non seulement le contenu mais aussi la musique interne de l'auteur mise en œuvre dans le texte, ce qui concorde entièrement avec son exigence littéraire de ne pas distinguer la forme du fond ; agir sur le lecteur comme l'original le fait ; traduire à partir de la langue originelle (l'écrivain Ivan Vazov a traduit le poème par l'intermédiaire du russe) ; respecter les symboles du texte original.
3.2.8. Certains traducteurs écrivent-ils des préfaces explicitant leur pratique ainsi que le choix des textes qu’ils traduisent ?
Les préfaces sont quasi-systématiques (de même que sont très fréquentes les remarques érudites, en bas de page ou en fin de texte, pour éclairer le texte : il n'est pas rare qu'elles dépassent la centaine pour des textes relativement courts, comme les tragédies de Shakespeare). Les traducteurs s'emparent du paratexte dont ils disposent.
La majeure partie de ces préfaces sont des études détaillées et approfondies de quarante à cinquante pages sur l'auteur et le texte proposés. C'est le cas, par exemple, des traductions de Shakespeare, Walter Scott, Milton, etc. Quant à Teodossi de Skopje, il fait précéder sa traduction à partir du français du Paradis perdu de deux préfaces : la première est une biographie de Milton, la seconde est une traduction de la critique écrite par Chateaubriand. Pour finir, il établit un glossaire des noms propres, géographiques, mythologiques, historiques, etc.
Moins fréquentes sont les préfaces qui présentent les choix de traduction de leur auteur ou qui exposent les difficultés rencontrées. Elles reprennent dans leur majorité le topos médiéval de la captatio benevolentiae, caractéristique également de la Renaissance nationale ; ce qui est nouveau, c'est que souvent elles ne s'adressent plus seulement aux lecteurs, mais aussi aux critiques :
« Il me reste maintenant à dire quelques mots sur mon travail. Il est possible que MM. les lecteurs et critiques trouvent des aspérités dans ma traduction en vers. Je suis entièrement d'accord avec eux. La cause en est la suivante : passionné de Shakespeare alors que j'étais encore écolier, j'ai commencé à la traduire alors que j'étais peu familiarisé avec ma langue maternelle. (…) Je n'ai pas travaillé de manière consécutive mais en travaillant certaines scènes, sans suivre l'ordre de la pièce. Cela explique que les vers ne présentent pas la même harmonie des sons, même si j'ai mis beaucoup d'efforts à les lisser. Mais vous m'accorderez, chers lecteurs, qu'il est difficile, face à un mur déjà construit, d'enlever les mauvaises pierres pour les remplacer par de meilleures ! Dans quelle mesure y suis-je parvenu ? Il ne me reste qu'à remercier MM les critiques qui voudront bien y prêter attention et me montrer certains défauts si mon travail en vaut la peine.» (Trifon Trifonov, traduction de Coriolan, Shakespeare, 1888 – n'indique pas de quelle langue mais traduisait habituellement à partir du français ou de l'allemand).
Dans sa préface à Roméo et Juliette (1907), Trifon Trifonov justifie sa traduction en vers : « Lorsque ces œuvres étaient publiées en prose, moi, je les éditais en vers. Un grand nombre m'en blâmaient, mais j'ai continué ainsi, car je ne pouvais lire le vers en prose sans ressentir la perte de l'esthétique, de la puissance, de la musique grisante intrinsèques au discours en vers, et, et je m'efforçais de faire partager cette différence à mes lecteurs. »
Bojil Raïnov (1857-1946), également traducteur de Shakespeare (15 pièces, dont 12 publiées, entre 1896 et 1902) a écrit un article dans la revue Théâtre national bulgare[12] (1.09.1939), intitulé « Pourquoi et comment j'ai traduit Shakespeare en bulgare ». Constatant que les extraits présentés dans les différentes chrestomathies étaient très différents de l'original, il indique avoir voulu présenter Shakespeare tel qu'il est non seulement à un public assez large, mais aussi aux amateurs de littérature.
3.3. Le rôle culturel de la traduction
La traduction et la langue
3.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (existe-t-il une norme unique pour cette langue ? coexistence éventuelle avec d’autres langues ?)
Le bulgare est la langue officielle de l'État bulgare. Certaines minorités pratiquent leur langue (turc, judéo-espagnol). Malgré l'existence de nombreux dialectes, la langue littéraire est déjà standardisée.
3.3.2. La traduction joue-t-elle un rôle dans l'évolution de la langue ?
Je n'ai pas de données.
La traduction et la littérature
3.3.3. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement des formes, des genres et des courants littéraires, notamment dans l'avènement de la modernité ?
Sans aucun doute. En traduction, elle favorise l'essor de certains genres (roman réaliste par exemple, qu'il soit russe, français ou anglais, ou encore le théâtre). Plus concrètement, l'écriture de tel ou tel écrivain bulgare a plutôt été marquée par des lectures d'œuvres étrangères lues dans l'original.
Pour la portée symbolique, il faut noter que l'adaptation/transposition en bulgare (1868) de ce qui devait être le futur hymne national de la République tchèque, Kde domov můj? [Où est ma maison], qui fait partie de la comédie Fidlovačka aneb žádný hněv a žádná rvačka écrite par le dramaturge Josef Kajetán Tyl et jouée pour la première fois en 1831, trouve des échos dans plusieurs poèmes bulgares, le plus célèbre étant « Où est la Bulgarie ? » d'Ivan Vazov.
On sait que Georg Brandes eut une grande influence sur la critique littéraire bulgare (il était forcément lu en traduction, en russe, en allemand ou en bulgare).
La traduction et la société
3.3.4. À quelles fins traduit-on (esthétiques, commerciales, politiques, sociales) ?
Esthétique, divertissement, éducation et instruction.
3.3.5. Qui prend en général l’initiative des traductions (traducteurs ? éditeurs ? libraires ? mécènes ? pouvoir politique ou religieux ?)
Traducteurs-écrivains (Pentcho Slaveïkov : Anthologie de poètes allemands, Nikolaï Liliev (Verlaine, Verhaeren, Mallarmé, Maeterlink), Guéo Milev (Shakespeare, Mallarmé, Demel, Verhaeren), Konstantin Konstantinov (Flaubert, Maupassant, Saint-Exupéry), Dimitar Podvarzatchov (Gogol, Dostoïevski, Tchékhov, Tolstoï)...
Éditeurs qui sollicitent des traductions (cf. plus haut le cas de Faust), créent des collections dédiées aux littératures étrangères : la « Bibliothèque du monde entier », d'Alexandar Paskalev, créée en 1908, fait paraître 180 titres de Byron, Balzac, Goethe, Dostoïevski, Zola, Ibsen, Molière, Mickiewicz, Maeterlink, Pouchkine, Poe, Senkiewicz, Strindberg, Tolstoï, Tourguéniev, Wilde, Swift, Corneille, London, Bernard Shaw, Lessing, Flaubert, Hugo, Heine, Tchékhov, Shakespeare, Schiller, Shelley, Eschyle, Euripide, Théophraste, Cicéron, Plaute et autres. Mentionnons aussi « Grains d'or » de Slavtcho Atanassov, créée en 1936), « Mosaïque de romans contemporains illustres » de Sofia Youroukova (1908).
Le ministère de l'Éducation jour aussi un rôle non négligeable. Ainsi, en 1890, s'inquiétant du succès de la littérature de divertissement (comme Les Aventures de Rocambole), il introduit l’enseignement obligatoire d'auteurs classiques du monde entier, parmi lesquels Shakespeare et Pouchkine figurent en première place. En 1896, une liste normative d'écrivains à faire lire en dehors des cours (comme devoir à la maison) est publiée. Elle contient 15 œuvres de Shakespeare, 6 de Tourgueniev, 5 de Victor Hugo, 4 de Gogol, 4 de Tolstoï et 3 de Mayne Reid [13].
De même, lorsqu'entre 1894 et 1897, l'écrivain et traducteur Konstantin Velitchkov est ministre de l'Éducation, le Haut Conseil de l'éducation élabore un programme pour stimuler la traduction d'œuvres jugées de valeur (classiques du monde), incluant des primes pour les meilleurs traducteurs, ainsi qu'une liste des auteurs dont on recommandait la traduction : Démosthène, Eschyle, Xénophonte, Plutarque, Tacite, Horace, Montaigne, Molière, Corneille, Calderon, Lessing, Goethe, Shakespeare, Shelley, Burns, Thomas Moore, Pouchkine et Mickiewicz [14].
3.3.6. Quels sont les supports de publication et les modes de diffusion des traductions ?
Le support privilégié des traductions demeure la presse périodique particulièrement riche à cette époque : Biblioteka Sveti Kliment, Bălgarski pregled, Bălgarska sbirka, Letopisi, Kritika, Misăl, Strets, Iztok, Vezni, Plamak, Hyperion, etc.
La revue Plamak (1924-1925), par exemple, fondée par le poète et traducteur Guéo Milev, publie 14 poètes en langue originale et 17 en traduction, 12 auteurs en prose et 9 en traduction, 1 pièce dans l'original et 2 en traduction, un grand nombre d'articles critiques en traduction.
Côté livres, la Bibliothèque du monde entier de Paskalev édite un grand nombre de traductions sous deux formes : une édition prestigieuse pour bibliophiles et une meilleure marché pour un public plus large.
Dans la diffusion des livres, à la figure dominante de l'imprimeur-éditeur succède celle du libraire-éditeur.
3.3.7. Y a-t-il des différences à cet égard avec la littérature originale ?
Non
3.3.8. Quel est le public des traductions ? est-il différent du public de la littérature originale ?
Les élèves, les intellectuels, les écrivains, les personnes cultivées.
Des statistiques de la Bibliothèque nationale de Sofia montrent qu'en 1896 la salle de lecture a été fréquentée par 36 021 lecteurs qui ont lu 5 345 livres de littérature. Parmi les auteurs les plus recherchés, on recense, traduits en bulgare, Victor Hugo (324 fois, ce qui est plus que l'auteur national le plus lu, Ivan Vazov, 281 fois), Jules Verne (221), Alexandre Dumas (171), Gogol (140), Schiller (117), Shakespeare (111), Eugène Sue (109) [15].
Quant à la bibliothèque de Plovidv, en 1907, sa salle de lecture a reçu 34130 lecteurs qui ont lu avant tout de la littérature (11191 livres), parmi lesquels les plus recherches étaient ceux d'Alexandre Dumas père et de Tolstoï [16].
3.3.9. Réception critique des traductions ?
Cf. plus haut
3.3.10. Existe-t-il une censure visant spécifiquement des traductions ?
Non. Littérature originale et littérature traduite bénéficient également des lois instaurées à la libération de la Bulgarie de la domination ottomane (Constitution de Tarnovo, 1879, Loi sur la presse dans la Principauté de Bulgarie, 1883) garantissent la liberté der l’imprimerie et ne tolèrent pas la censure.
3.3.11. Les modalités d’exercice de la traduction sont-elles influencées par les identités nationales, sociales, etc. (choix des textes, mode de traduire, langue de la traduction) ?
3.3.12. Des traductions ont-elles joué un rôle dans l'évolution des idées et de la société ?
Références bibliographiques
DELISLE Jean, 2002, Portraits de traductrices, Ottawa : Presses de l'université d’Ottawa.
ГЕРГОВА Ани, 2004, Eнциклопедиябългарскакнига, София : Пенсофт.
ДАСКАЛОВА Красимира, 1999, Грамотност, книги, читатели и четене в България по пътя към модерното време, София : ЛИК.
Notes
[1] Звено.
[2] ГеоМилев,« Родноизкуство », Везни, 1920.
[3] Енциклопедиябългарскакнига 2004, 235.
[4] Cf. Marie Vrinat-Nikolov, « Ekaterina Karavelova, une traductrice discrète » in Portraits de traductrices, sous la direction de Jean Delisle, Presses universitaires d'Ottawa, Artois Presses université, 2002, p. 205-238.
[5] Червен смях.
[6] Везни.
[7] Преводна рецепция на европейските литератури вв България(2001, т. 2):239.
[8] Resp. Наковалняet Работнически литературен фронт.
[9] Цветя от всички полета.
[10] Българска христоматия.
[11] Полски поети, 1920.
[12] Български народен театър.
[13] Красимира Даскалова, 1999: 145.
[14] ibid.100-101.
[15] ibid. 115.
[16] ibid. 116.