Auteur : Riikka Rossi

 

4.1. Cadre général introductif

4.1.1. Quelles ont été les périodes de fermeture ou d’ouverture aux littératures occidentales ?

Contrairement à ses voisins baltes, la Finlande réussit, après la deuxième guerre mondiale, à sauver son indépendance et adopte une politique de neutralité stricte pendant la Guerre Froide. Par conséquent, la question du totalitarisme ne concerne pas exactement la Finlande. Pour cette raison, les réponses aux questions suivantes ont été modifiées au vu de la situation politique en Finlande.

Si dans les nombreux pays socialistes l’époque qui suit la deuxième guerre mondiale marque une fermeture aux littératures occidentales, en Finlande le développement fut inverse. La période qui précède la deuxième guerre mondiale, en revanche, a été caractérisée comme une sorte d'époque de fermeture aux littératures considérées comme trop avant-gardistes et modernistes. Du point de vue des traductions, l’arrivée du modernisme littéraire en Finlande fut assez tardive. Quelques ouvrages renommés, comme A Portrait of The Artist as a Young Man de Joyce (en finnois 1946) et The Waste Land de T. S. Eliot (en finnois 1949) furent traduits après la guerre, mais avant les années 1960­ la traduction des œuvres d'avant-garde fut sporadique. Après la deuxième guerre mondiale, l’esprit de progrès lié à la modernisation et à la reconstruction de la société finlandaise, de même que les développements du domaine de l’édition créèrent un espace pour la traduction des ouvrages laissés de côté. Ce sont surtout les « années révolutionnaires » (les années 1960 et 1970) qui marquèrent une véritable percée des ouvrages modernistes en finnois. À cette époque-là, une grande partie de l’œuvre de Franz Kafka, William Faulkner, Ernest Hemigway, Ezra Pound, Albert Camus, Marcel Proust et Virginia Woolf ont vu le jour en finnois. Depuis les années 1950, en plus des champions du modernisme, les lecteurs finlandais ont pu s’initier aux littératures d’Asie (principalement la poésie chinoise et japonaise), d’Afrique (comme l’œuvre d’André Brink, Nadine Gordimer), d’Amérique du Sud (Jorge Luis Borges, Pablo Neruda, Gabriel García Marquez).

En ce qui concerne la littérature russe, et slave en général, la période qui suit la deuxième guerre mondiale marqua également une ouverture. La hausse du nombre de traductions de textes de l’Est avait des raisons politiques.

Après avoir perdu la guerre, la Finlande chercha à consolider ses bonnes relations avec l’Union soviétique ; du point de vue des traductions, cela marqua la croissance des traductions du russe en finnois et la mise de côté des ouvrages critiquant le système soviétique. La société de l’amitié entre la Finlande et l’Union soviétique, fondée après la guerre, ouvrit une maison d’édition, nommée Kansankulttuuri Oy, qui avait pour but « de compléter des trous dans l’édition finlandaise » et « augmenter la connaissance des pays  négligés jusqu’à maintenant » ; « les trous » ont renvoyé avant tout à la littérature de l’Union soviétique et à celle des pays socialistes en général. Les années 1945-1946, après la guerre, marquèrent un véritable sommet : la traduction des littératures de langue russe représenta presque 20 % des tous les ouvrages traduits. Aussi, la traduction des autres langues slaves prospéra, et la traduction du Brave soldat Schweïk (1947), par exemple, remporta un grand succès. Parmi les traductions importantes de la langue russe dans années 1950 figurent, par exemple, Le docteur Jivago (1958) de Boris Pasternak,  les œuvres choisies de Maxime Gorki et Le don paisible de Mikhail Chokolov (1956). Les années révolutionnaires de 1960 ont été favorables à la traduction des littératures des pays socialistes ; à cette époque, parurent plus de 30 traductions des langues slaves.

D’autre part, la Finlande n’échappa nullement au succès européen d'après-guerre que connu la culture américaine, ceci se voit dans les nombreux tirages de traductions de l’œuvre de Hemingway, John Steinbeck et William Faulkner.

 

4.2. La pratique de la traduction

Qui traduit ?

4.2.1. Qui sont les traducteurs (origine sociale, formation, langue maternelle, statut social, conditions de travail et de rémunération ? sont-ils considérés comme des auteurs ? s’agit-il de leur activité principale ? etc.)

En Finlande l'existence de la profession de traducteur à plein temps reste un phénomène assez récent. La traduction fut longtemps une activité à temps partiel, pratiquée par des écrivains, éditeurs, chercheurs et critiques.  Ce n’est que pour les dernières décennies qu’on peut parler de traducteurs professionnels à plein temps. Jusqu’aux années 1960, la formation des traducteurs fut en pratique inexistante.

Parmi les traducteurs remarquables de la deuxième moitié du XXe siècle figure un grand nombre d'écrivains renommés (comme Eeva-Liisa Manner, Pentti Saarikoski, Elvi Sinervo, Pentti Holappa et Eila Pennanen) pour lesquels la traduction a sans doute servi de source d’inspiration pour  leur œuvre littéraire.

La poétesse et écrivain Elvi Sinervo (1912-1986) était issue d’une famille ouvrière. Elle s’orienta vers la gauche aussi bien dans son œuvre que son travail de traduction. Sinervo traduisit notamment de l’allemand et du suédois et préférait des œuvres qui étaient en accord avec son idéologie, comme celles de Bertolt Brecht et d’Anna Seghers, l’auteur communiste qui avait combattu le nazisme.  En tant que co-fondatrice de la société soviétique-finlandaise, Sinervo fut emprisonnée pendant la deuxième guerre mondiale pour activité antipatriotique (la Finlande étant alliée de l’Allemagne). Elle reçut le prix Mikael Agricola en 1973.

Aale Tynni (1913-1997), écrivain et traductrice, connue surtout pour ses traductions de la poésie. Son travail le mieux renommé fut certainement l’anthologie Tuhat laulujen vuotta (Un millénaire de chansons, 1957), un recueil qui va des poèmes runiques vikings jusqu’au modernisme du XXe siècle. Cet ouvrage inclut par exemple des poèmes de Pétrarque, Villon, Spenser, Shakespeare, Goethe, Schiller, Byron, Keats, Baudelaire, Mallarmé, Eliot, Lorca et Neruda. Elle est aussi célèbre pour sa traduction des sagas islandaises (1980-1982).

Eeva Liisa-Manner (1921-1995), poétesse moderniste, elle traduisit à côté de son travail littéraire des textes de 150 auteurs, comme ceux d’Herman Hesse, Franz Kafka, James Joyce, Thomas Mann et Yasunari Kawabata. En plus de ces auteurs, à l’esthétique proche de celle de Manner et qui influencèrent sans doute sa propre création littéraire, elle n’hésita pas à s'emparer des grands classiques comme The Canterbury Tales de Geoffrey Chaucer ou des pièces de Shakespeare. Dans le domaine du théâtre, Manner mena également un travail non négligeable ; elle traduisit plus de 40 pièces de théâtre et pièces radiophoniques. Poétesse renommée, Manner traduisit relativement peu de poèmes ; pour elle la traduction était un moyen de revenus secondaire. Elle reçoit le prix Mikael Agricola en 1964.

Pentti Saarikoski (1937-1983) l’enfant terrible des années 1960, poète et écrivain, figure parmi les traducteurs finlandais les plus importants de tous les temps : non seulement à cause du nombre d'ouvrages qu'il a traduits (environ 70), mais aussi des langues d’origine (le grec, le latin, l’anglais, l’italien, le suédois, le norvégien, l’allemand). Quelques traductions de Saarikoski eurent un grand succès et devinrent même des ouvrages-culte, comme l’Odyssée d’Homère et Ulysse de James Joyce, de même que The Catcher in the Rye(L'attrape-cœurs) de J. L. Salinger et l’Évangile selon Mathieu. Il remporta le prix Mikael Agricole en 1965. Voir aussi les réponses suivantes.

4.2.2. Rôle éventuel des associations de traducteurs dans l’évolution de la profession ?

Le développement vers une action plus professionnelle démarra après la deuxième guerre mondiale. Les traducteurs s’organisèrent alors sur le modèle international et fondèrent, en 1955, l’association des traducteurs en Finlande. Depuis 1957 l’association des traducteurs décerne annuellement Le prix Mikael Agricola (correspondant aujourd’hui à la somme de 5000 €) pour la meilleure traduction de fiction étrangère. Ce prix donne aux traducteurs l’occasion d'attirer l’attention du public sur l’importance de la traduction en Finlande, et les lauréats du prix Mikael Agricola (comme Kai Nieminen (japonais), Annikki Suni (français), Seppo Loponen (anglais)) sont devenu connus en Finlande, pour mentionner quelques exemples. Le premier prix fut donné à J. A. Hollo (voir la partie 3.)

À l’initiative de l’association des traducteurs, l’université de Helsinki et les divers instituts de langues commencèrent à organiser des cours de traduction.  Dans les années 1970 les éditeurs se sont intéressés à la formation des traducteurs. Aujourd’hui, de  nombreuses universités finlandaises (surtout Helsinki et Tampere) ont des programmes pour les traducteurs. La commission d’examen de traduction finlandaise, qui décerne les diplômes de traducteur officiels, est responsable de la qualité des traducteurs du pays. D’ailleurs, la forme et le niveau de l’examen de traduction sont déterminés par arrêté du ministère de l’Éducation nationale, qui exige une compréhension correcte de la langue source et un usage correct de la langue d’arrivée. Néanmoins, l’obtention d’un diplôme n’exige pas de faire un sans faute à l'examen.

4.2.3. Les traducteurs du russe ont-ils un statut particulier ?

Pas vraiment, même si la traduction du russe fut encouragée après la deuxième guerre mondiale pour des raisons politiques (voir 4.1.1.).

Que traduit-on ?

4.2.4. Quels genres de textes traduit-on ?

Si la période qui précède la deuxième guerre mondiale est dominée par la traduction des grands classiques en finnois, la période qui suit la guerre marque une ouverture aux genres plus avant-gardistes, expérimentaux et populaires.  Pour les maisons d’édition la guerre marqua une reprise. La lecture des littératures faciles et récréatives augmenta, car la littérature servit de moyen d’oublier les réalités violentes de la guerre. Grâce à la scolarisation des Finlandais, la lecture se répandit et devint une forme de passe-temps moderne. À côté des romans policiers, des romans d’amour et d’aventures, d'autres genres populaires arrivèrent en Finlande pendant la grande vague de traduction des années 1960. La bande dessinée, et surtout la série d’Hergé,Tintin, est importée en Finlande au début des années 1960.  La science fiction (par exemple, Isaac Asimov et Ursula le Guin) entra en Finlande dans les années 1970.

4.2.5. Y a-t-il à cette époque des changements dans la géographie de la traduction (origine des œuvres traduites) ? S’ouvre-t-on à des littératures non traduites jusque là ? Si oui, lesquelles ?

En ce qui concerne l’ouverture aux autres langues, l'après-guerre se caractérise par la conquête des nouveaux territoires. Les années 1950 et 1960 marquent une hausse des traductions de la littérature chinoise et japonaise, par exemple. L’esthétique minimaliste de la littérature asiatique fascinait les modernistes finlandais, mais d’autre part, la traduction de la littérature chinoise eut aussi des raisons politiques. L’échange culturel entre la Chine communiste et l’Union Soviétique faisait écho aussi en Finlande, à la recherche des bonnes relations avec son voisin russe. Quant à la littérature d’Afrique et d’Amérique latine, l’accroissement du nombre des œuvres traduites eut lieu dans les années 1980. La traduction des langues rares dépend souvent de l’activité des traducteurs individuels. Par exemple, le boom des littératures chinoise et japonaise dans les années 1950 doit beaucoup à Pertti Nieminen et à Tuomas Anhava.

4.2.6. Comment les conditions politiques et idéologiques influencent-elles le choix des œuvres traduites (langues-littératures, auteurs, genres) ?

Voir les réponses 4.1.1. et 4.2.5.

De plus, la question de l’influence allemande sous la deuxième guerre mondiale (période où la Finlande était alliée à l’Allemagne) constitue un point litigieux dans l’histoire de la traduction en Finlande. Auparavant, les histoires de la littérature finlandaise soulignaient l’influence allemande pendant la deuxième guerre mondiale, ce qui pourrait expliquer l’abandon du modernisme anglo-américain. Néanmoins, selon les statistiques, l’anglais était la langue source principale déjà pendant la guerre. L’influence allemande semble concerner plutôt la littérature scientifique; à cette époque-là, dans les milieux scientifiques l’allemand restait toujours la langue la plus utilisée.

4.2.7. Quels sont les écarts entre la date de parution d’une œuvre dans la langue originale et sa traduction ?

Au vu de la grande vague de traduction des ouvrages modernistes dans les années 1960 et 1970, l’écart est visible, il est souvent de quarante voire de cinquante ou soixante ans (La première partie de À la recherche du temps perdu a paru en français en 1913 et en finnois en 1968 ; Ulysse de Joyce, en anglais en 1922 et en finnois en 1964). Dans plusieurs cas les traductions n’étaient publiées qu’après la mort de l’auteur.

4.2.8. Quels sont les écarts entre le canon littéraire de la langue d’origine et le corpus de textes traduits (traduction d’auteurs ou d’ouvrages jugés secondaires dans la littérature d’origine, ou au contraire absence de traduction d’auteurs ou d’ouvrages majeurs) ? Peut-on identifier les causes de ces écarts ?

Les causes des écarts dans le cas des textes canoniques d’avant-garde et du modernisme (même 60 ans) ont été expliquées dans la partie 3 (la mission éducative du programme nationaliste).

4.2.9. Citez quelques textes emblématiques traduits à cette époque (s’il y en a), titres et dates.

Quelques œuvres modernes traduites dans les années 1960-1970 :

William Faulkner, Sound and the Fury (1929, De bruit et de fureur, en finnois en 1965)

James Joyce, Ulysses (1922, Ulysse, en finnois 1964), Dubliners (1914, Gens de Dublin, en finnois 1965)

Franz Kafka, Das Schloss (1926, Le château, en finnois 1964), Der Prozess (1925, Le procès, en finnois 1975)

Yasunari Kawabata, Yukiguni (1935, Pays de neige, en finnois 1958)

Ezra Pound, Poèmes choisis 1908-1919 (en finnois 1976)

Marcel Proust, À la recherche du temps perdu. Du côté chez Swann (1913, en finnois 1968)

Jun’ichirō Tanizaki, Kagi (1956, La clef, en finnois 1960)

Comment traduit-on ?

4.2.10. Trouve-t-on des réflexions et/ou des débats sur la traduction ? Sur quoi portent-ils ?

Pendant la grande vague de traductions en finnois, dans les années 1960, le magasine littéraire Parnassofournissait un espace pour la discussion sur les ouvrages traduits. De nombreux traducteurs, écrivains, critiques, comme Tuomas Anhava, Pentti Saarikoski et Kai Laitinen, s’engagèrent dans un débat sur les nouvelles traductions des œuvres modernistes, en s’opposant fréquemment à l’opinion des milieux universitaires. Dans les rubriques de Parnasso on discutait, par exemple, de la traduction d'ouvrages linguistiquement exigeants. La traduction de The Catcher in the Rye (L'attrape-cœurs) de J. D. Salinger par Pentti Saarikoski  (en finnois en 1961) devint un ouvrage-culte, qui suscita un débat sur l’usage de l’argot dans le texte. En Finlande le roman remporta un succès surtout grâce à la langue des rues de Helsinki qui colore la traduction, mais quelques critiques ont considéré la traduction de Saarikoski comme fausse, incorrecte et grossière.

L’anthologie de la poésie (Tuhat laulujen vuotta 1957) traduite par Aale Tynni éveilla aussi un débat. Ce sont surtout ses retraductions de poèmes déjà traduits qui furent condamnées. L’usage du mètre libre dans la poésie ancienne suscita également beaucoup de polémiques. Les modernistes, comme Saarikoski, protestèrent contre les vieux systèmes métriques, à leur avis inappropriés à la langue finnoise.

Plus tard, les traductions du Testament de François Villon (en 1974) et d'Œdipe roi (1988), par le romancier Veijo Meri, attirèrent l’attention des philologues qui accusèrent Meri de malentendus linguistiques. De plus, au XXe siècle, les débats sur la traduction portaient surtout sur des grands classiques, comme sur les classiques d’Antiquité.

4.2.11. Certains traducteurs écrivent-ils des préfaces explicitant leur pratique ainsi que le choix des textes qu’ils traduisent ?

Les préfaces sont typiques des traductions de grands classiques, qui comprennent souvent une introduction à l’auteur et à son œuvre. Les traducteurs de la littérature antique fournissent avec leurs traductions des explications philologiques du texte. Pentti Saarikoski explique ses choix dans ses préfaces ; d’autre part il cherche souvent à susciter la discussion sur sa traduction. Par exemple, dans sa préface sur la traduction de l’Euripide d’Héraclès, il affirme avoir négligé tout ce qui n’intéresse pas ; et, dans le cas où il a trouvé une expression plus pertinente que celle d’auteur originale il l’a changé. « Je n’ai pas été trop respectueux », déclare-t-il. Il en va de même lorsqu’il s’agit de langues rares ou de retraductions d'ouvrages déjà traduits, de traductions qui, d’une certaine manière nécessitent une explication sur le renouvellement de la traduction.

4.2.12. Comment la censure influence-t-elle le mode de traduire ?

La censure limita fortement la liberté de la presse finlandaise sous le règne Russe en 1829-1865. La Finlande indépendante, elle, a été toujours libre de censure, excepté pendant la deuxième guerre mondiale. Néanmoins, cela n’empêche pas l’existence d’une autocensure qui caractérise surtout la période d'après la deuxième guerre mondiale, époque où la Finlande plaça en priorité la consolidation des bonnes relations de voisinage avec l’Union soviétique. Par conséquent, le nombre de traductions des ouvrages russes en finnois augmenta rapidement et, en ce qui concerne les œuvres critiques contre l’Union soviétique, le renforcement des relations culturelles avec la Russie en empêcha la publication. La traduction des œuvres d’Alexandre Soljenitsyne, par exemple, s’est montrée un cas délicat. L’éditeur Tammi publia une partie des ses ouvrages en finnois, mais son œuvre L’archipel du Goulag décrivant les horreurs des camps de travail en Russie fut rejetée en raison de la politique étrangère. La Russie et de la direction politique finlandaise firent pression pour empêcher la traduction.

4.2.13. Quel est le rôle des réviseurs dans l’établissement du texte final ?

Le rôle des réviseurs varie, mais les traductions sont souvent contrôlées par un réviseur.

4.2.14. Y a-t-il des cas de traductions très infidèles à l’original?

Dès le développement de la formation des traducteurs, la qualité des traductions s’est certainement améliorée – on trouve des traductions mauvaises ou infidèles plutôt dans le lot des premières traductions en finnois, datée de l’époque où la langue écrite n’était pas très développée et où l’idéologie nationaliste n’acceptait pas les ouvrages considérés comme « immoraux ». En revanche, pendant la deuxième moitié du XXe siècle, l’infidélité de certaines traductions ne résultait pas de l’incapacité du traducteur mais plutôt de la volonté de  provoquer : inspiré de la réalisation de Il Vangelo Secondo Metteo (L'Évangile selon sainte Matthieu) de Pier Paolo Pasolini, Pentti Saarikoski traduisit l'Évangile de Matthieu de nouveau en finnois en 1969, mais ce livre reste plus une réécriture qu'une traduction, en mettant en doute, par exemple, la virginité de la Vierge Marie.

D’autre part, pendant la deuxième moitié du XXe siècle parurent beaucoup de traductions de la littérature de l’Union soviétique. La qualité de ces traductions a été remise en question, et elles ne sont pas non plus entrées dans les traductions considérées comme canoniques.

4.2.15. Les traducteurs traduisent-ils généralement d’une seule langue ou de plusieurs ?

Certains traducteurs se sont spécialisés dans une ou deux langues, mais comme on le voit dans la réponse à la question 4.2.1., les plus renommés maîtrisent plusieurs langues. La spécialisation est plus commune dans le cas de langues difficiles et rares : Pertti Nieminen (né 1929) est devenu connu surtout comme traducteur de littérature chinoise, son fils Kai Nieminen (né 1950) pour ses traductions du japonais. La rareté d’une langue est souvent accompagnée d’une absence de compétition et permet au traducteur d'être le meilleur spécialiste d'une langue.

 

4.3. Le rôle culturel de la traduction

La traduction et la langue

4.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (existe-t-il une norme unique pour cette langue ? Coexistence éventuelle avec d’autres langues ?)

À l’époque de la modernité littéraire, le statut du finnois écrit reste assez stable. Le finnois a obtenu le statut de langue officielle du pays en 1864, et c’est environ dans les années 1870 que le vocabulaire et le système grammatical du finnois écrit passent pour atteindre le niveau actuel. Les traductions ont influencé, d’une manière fondamentale, le développement du finnois écrit (voir la réponse 3.3.2.), mais aujourd’hui il est assez rare que le vocabulaire d’une œuvre traduite ou les expressions inventées par un traducteur se diffusent en dehors du monde fictif. Il y a sans doute des exceptions, comme  les romans Harry Potter ou les Moumins.

4.3.2. La traduction joue-t-elle un rôle dans l'évolution de la langue ?

La traduction a toujours joué un rôle important dans le développement du finnois écrit. La deuxième moitié du XXe siècle marque un mélange des registres de la langue parlée et écrite dans la fiction. Les traducteurs ont traditionnellement été plus normatifs que les auteurs du texte original, ils utilisaient la langue parlée avec réserve et évitaient les dialectes et les expressions trop argotiques, même dans le cas où le texte original comprend des expressions parlées. Dans ce respect, les années 1960 marquèrent un changement surtout avec les traductions des œuvres de Salinger, Miller etc., par Saarikoski, qui devinrent un modèle pour les autres traducteurs. À partir des années 1970, l’usage de la langue parlée se généralise dans la langue de traduction.

La traduction et la littérature

4.3.3. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement des formes, des genres et des courants littéraires, notamment par rapport au réalisme socialiste ?

La deuxième guerre mondiale a marqué une rupture dans l’histoire de la littérature finlandaise ; l’accès aux ouvrages modernes européens ouvrit aux auteurs les portes de courants européens peu connus. Le point culminant de la modernité finlandaise (années 1950 et 1960) est lié à l’arrivée de nouvelles traductions de textes modernes, surtout dans le domaine de la poésie. Aussi, l’esthétique orientale, importée par la traduction des littératures chinoises et japonaises, influença par exemple la poétesse Eeva-Liisa Manner et le poète Veikko Polameri. Pentti Saarikoski, lui, a été vivement influencé par les classiques de l’Antiquité qu’il traduisit en finnois.

Quant au réalisme socialiste, ce genre ne fut pas de grande importance, grâce à la politique neutre du pays. Bien sûr, le réalisme socialiste devint connu au moyen des traductions des ouvrages soviétiques.

4.3.4. L’absence de libre-circulation des textes entre l’Occident et le bloc communiste favorise-t-elle des traductions plagiats (textes traduits présentés comme des œuvres originales) ?

Ceci ne concerne pas la Finlande.

4.3.5. Quelle est la place de la traduction dans la vie littéraire de la diaspora ?

Ceci ne concerne pas la Finlande.

4.3.6. Quelle est l’influence des traductions réalisées à l’étranger ?

Dans le cas d’Alexandre Soljenitsyne (voir 4.2.12.), l’édition à l’étranger joua un rôle important. Les premières parties de L’archipel du Goulag, dont la publication en Finlande fut empêchée pour des raisons politiques, parurent en finnois en Suède, éditées par une maison d’édition suédoise et puis vendus librement en Finlande.

Sur le statut de la littérature traduite et éditée en Union soviétique, voir la réponse à la question 4.2.14.

4.3.7. Les traductions en langues occidentales jouent-elles un rôle dans la diffusion de textes interdits ?

Même si la censure n’existe pas en Finlande, comme nous l'avons indiqué avant, la connaissance des langues étrangères a toujours permis, pour les Finlandais (surtout pour les classes cultivées) de faire connaissance avec les littératures non traduites en Finnois.

La traduction et la société

4.3.8. Peut-on distinguer des évolutions dans la diffusion et la réception des traductions (tirages, variations de popularité des auteurs, etc.) ?

La diffusion et la réception suivent en général l’évolution de la traduction ; les traductions peuvent, d’autre part, accélérer l’arrivée des influences culturelles d’un certain pays. Par exemple, les années 1950 sont considérées  comme l'âge d’or de la littérature asiatique en Finlande et, dans les années 1960, la culture française devint à la mode, ce qui se voit dans l’augmentation des œuvres traduites du français. L’esprit radical de cette décennie a favorisé la traduction d'auteurs du nouveau roman (Sarraute, Robbe-Grillet), féministes (Simone de Beauvoir), existentialistes (Jean-Paul Sartre) ou politiquement actifs.

4.3.9. Qui prend l’initiative des traductions ? Par quels canaux parviennent les informations sur les œuvres étrangères à traduire et les œuvres elles-mêmes?

L’initiative des traductions revient à divers acteurs. En Finlande, le mouvement nationaliste a longtemps influencé le choix des textes traduits en finnois, surtout pendant la première moitié du XXe siècle Le fonds d’État pour la traduction favorisait la traduction des grands classiques et de la littérature des peuples finno-ougriennes. La littérature d'avant-garde, elle, fut considérée comme trop osée et radicale. Le fonds d’État donne des bourses pour la traduction et dirige ainsi la traduction encore aujourd’hui, même si le fonds ne fonctionne pas dans le cadre du nationalisme du dix-neuvième siècle.

L’idéologie des éditeurs a également influencé le choix de la littérature traduite. Comme constaté dans la partie 3, avant la deuxième guerre mondiale la plupart des éditeurs soutinrent des valeurs de droite, tandis qu’après la guerre, les éditeurs gauchistes (comme Tammi) ou même socialistes (Kansankulttuuri), ont favorisé des œuvres négligées par la droite.

Il ne faut pas oublier la part des traducteurs, leurs initiatives et choix individuels. Le poète Pentti Saarikoski, par exemple, avait une connaissance exceptionnelle des langues et contribua à cette révolution des traductions d’une manière remarquable : il traduisit, entre autres, la Poétique d’Aristote ; Ulysse de James Joyce, les ouvrages scandaleux de Philip Roth et Henry Miller, et importa même l’argot dans le finnois écrit. L'écrivain et personnalité culturelle radicale Saarikoski prit des libertés artistiques, et par conséquent ses traductions suscitèrent des polémiques et des réactions critiques.

4.3.10. Quels sont les supports de publication et les modes de diffusion des traductions ?

Le projet de traduction des grands classiques en finnois, initié par le mouvement nationaliste au XXe siècle, était encouragé par des bourses d’État. En 1908, le sénat décide d'établir un fonds particulier pour soutenir la traduction. La gestion des fonds fut déléguée à la Société de littérature finlandaise, qui attribua des bourses pour la traduction et l’édition des livres étrangers. La portée des fonds d’État peut être illustrée par le fait que la plupart des traductions des grands classiques en finnois ont bénéficié. La Société de littérature finlandaise continue ce travail aujourd’hui encore ; par exemple, entre 1990 et 2001, les fonds d’État pour la traduction décernèrent 476 bourses pour les divers projets de traduction.

Depuis que la littérature facile a gagné en popularité, et que les maisons d’édition recherchent des bénéfices économiques avec les best-sellers, le Fonds de traduction d’État garanti que les valeurs culturelles ne sont pas oubliées dans le choix des textes traduits. D’autre part, la traduction des best-sellers ne menace pas le statut des classiques, qui vendent assez bien ; du point de vue commercial, la publication des littératures d'auteurs moins connus est une plus grande prise de risque.

En plus des maisons d’édition, les revues culturelles, comme Parnasso, jouent un rôle important dans la diffusion et dans la publication des traductions. Parnasso a publié, d’une manière régulière, des traductions de poèmes et nouvelles d'auteurs contemporains.

4.3.11. Y a-t-il des revues ou des collections spécialisées dans la publication de traductions ?

Dans la percée des traductions des œuvres modernes, la maison d’édition Tammi a joué un rôle important. La fondation de Tammi en 1943 marque l’arrivée d’un véritable concurrent gauchiste pour les maisons d’éditions plus conservatrices ; la «bibliothèque jaune » de Tammi, lancée en 1954, fut une série de littérature contemporaine mondiale qui importa en Finlande un grand nombre des romans modernistes rejetés auparavant.

Dans les années 1970, l’époque étant favorable aux mouvements gauchistes et à la « finlandisation » (la neutralité supposé du pays marqua en pratique la volonté de plaire à l’Union soviétique), les grandes maisons d’édition fondèrent une librairie commune « Neuvostokirjallisuutta » (La littérature soviétique) qui avait pour but de faire connaître les classiques du réalisme socialiste, par exemple.

4.3.12. Quel est le public des traductions ? Est-il différent du public de la littérature originale ?

Sans doute, oui, surtout grâce au grand écart entre la parution entre l’œuvre originale et la traduction.

4.3.13. Quelle est l’attitude de la censure à l’égard des traductions ? Est-elle différente de l’attitude à l’égard des œuvres originales ?

En Finlande indépendante, la censure n’existe pas (voir 4.1.12).

4.3.14. Y a-t-il des cas d’utilisation de traductions (ou de pseudo-traductions) à des fins de propagande ou au contraire de résistance ?

Non.

4.3.15. Y a-t-il des traductions clandestines et quel est leur diffusion et leur influence sur la littérature ou la vie culturelle ?

Ceci ne concerne pas la Finlande.

4.3.16. Y a-t-il des répressions visant des traducteurs en raison de leur activité de traduction ?

Ceci ne concerne pas la Finlande.

4.3.17. Les traductions anciennes sont-elles victimes de la censure ? selon quels critères ?

Ceci ne concerne pas la Finlande.

4.3.18. Quelles sont les caractéristiques du discours théorique dominant sur la traduction ?

Comme dans le domaine international, en Finlande la traduction reste une discipline assez récente.  Même si les premiers programmes de traduction ont été lancés dans les années 1960, ce n’est qu’au début des années 1980 que la traduction fut reconnue comme une vraie branche de la science. En ce qui concerne le discours théorique, au début la recherche de la traduction se fondait sur la linguistique, mais les années 1980 marquèrent un changement de cap vers des études plus « contextuelles ». Cette nouvelle direction, appelée « tournant culturel », se dirige plutôt vers l’étude des faits politiques et idéologiques qui influencent la traduction.

De plus, ces dernières années, les études littéraires ont montré un grand intérêt pour l’étude des traductions en Finlande, ce dont témoigne le projet colossal, Suomennoskirjallisuuden historia 1-2) (Histoire de la traduction en finnois). La plupart des réponses à ce questionnaire ont été rédigées sur la base de cet ouvrage remarquable.

4.3.19. Réception critique des traductions ?

Même si quelques traductions ont suscité une discussion plus vaste (voir la réponse 4.2.10), les critiques de la littérature étrangère se concentrent en grande partie sur les qualités de l’œuvre originale. Les remarques sur la traduction restent superficielles où même inexistantes, surtout dans la critique publiée dans les journaux. Pourtant, la qualité de la traduction attire l'attention quand il s’agit de la poésie, d’un classique de l’Antiquité ou d'une retraduction d’un ouvrage déjà traduit.

 

Source principale

RIIKONEN H. K., KOVALA Urpo, KUJAMÄKI Pekka, PALOPOSKI Outi (dir.), Suomennoskirjallisuuden historia, 2 vol., Helsinki : SKS, 2007.