Auteur : Astra Skrābane
3.1. CADRE GÉNÉRAL INTRODUCTIF
3.1.1 À quel moment apparaît dans votre littérature la quête de modernité incarnée par les avant-gardes littéraires ?
Au tournant du XIXe et du XXe siècle, le modernisme apparaît dans la littérature lettone en partie comme une réaction au réalisme, trop terre-à-terre, et au romantisme avec son héros idéalisé. Son développement est aussi dû aux contacts entre les littératures, notamment anglaise, française, allemande et russe, qui sont connues grâce aux traductions et à la connaissance des langues des littérateurs. Le modernisme cherche à représenter l’homme contemporain avec ses hésitations et ses passions, ce qui n’est pas vraiment caractéristique pour la littérature lettone jusqu’alors. Deux poètes – Viktors Eglītis et Edvards Virza sont considérés comme les fondateurs du modernisme. Il est significatif que ces deux poètes soient également traducteurs, en particulier, de la littérature française.
3.2. LA PRATIQUE DE LA TRADUCTION
Qui traduit ?
3.2.1. Qui sont les traducteurs (origine sociale, formation, langue maternelle, statut social, conditions de travail et de rémunération ? sont-ils reconnus en tant que traducteurs, s’agit-il de leur activité principale ? etc.) ?
Ce sont surtout des littérateurs et des gens de théâtre qui traduisent, ils ne sont pas reconnus exclusivement comme traducteurs. Leur langue maternelle est le letton.
Que traduit-on ?
3.2.2. Quels genres de textes traduit-on ?
En général, on traduit tous les genres littéraires. La préférence est donnée au roman, mais il y a également des traductions de poésie et de théâtre.
3.2.3. Peut-on constater à cette époque une réduction de l’écart entre la date de parution d’une œuvre dans la langue originale et la traduction ?
Il y a des œuvres classiques dont l’écart de parution en letton est considérable. Après la fondation de l’état indépendant et l’essor du domaine du livre (maisons d’édition, réseau de librairies, bibliothèques) les traducteurs cherchent à rattraper les lacunes dans le domaine de la littérature traduite et se tournent vers une littérature plutôt classique.
La littérature contemporaine est traduite assez vite en letton et le lecteur letton est bien informé du processus littéraire à l’étranger grâce aux magazines littéraires dans lesquels on imprime régulièrement des articles sur la littérature étrangère.
3.2.4. Y a-t-il à cette époque des changements dans la géographie de la traduction (origine des œuvres traduites) ? S’ouvre-t-on à des littératures non traduits jusque là ? Si oui, lesquelles ?
Au tournant des XIXe et XXe siècle, la géographie des traductions est très vaste, les langues desquelles on traduit les œuvres sont les suivantes : américain, anglais, tchèque, français, italien, russe, polonais, roumain, suédois, norvégien, hongrois, espagnol, allemand, indien, japonais et chinois. Cependant, la littérature européenne et celle des Etats-Unis prédominent, les œuvres de la littérature du proche orient et de l’extrême orient sont minoritaires. La littérature scandinave est très présente – les œuvres complètes de Knut Hamsun paraissent en 1936 (du vivant de l’auteur), celles de Sigrid Undset en 1939.
3.2.5. Citez quelques textes emblématiques traduits à cette époque (s’il y en a), titres et dates.
Ainsi parlait Zarathoustra de Friedrich Nietzsche, dans la traduction du poète letton Vilis Pludonis, de 1908, influença beaucoup les intellectuels et les hommes de lettres lettons de l’époque.
Comment traduit-on ?
3.2.6. Formule-t-on des exigences concernant le respect du texte traduit, la mention du nom de l'auteur du traducteur, la nécessité de traduire directement à partir de la langue originale ?
Le texte traduit est respecté, l’auteur et le traducteur sont mentionnés et l’on traduit généralement de la langue originale.
3.2.7. Trouve-t-on des réflexions et/ou des débats sur la traduction ? Sur quoi portent-ils ?
Non. Il existe des articles portant sur l’auteur traduit, mais pas sur la qualité de la traduction.
3.2.8. Certains traducteurs écrivent-ils des préfaces explicitant leur pratique ainsi que le choix des textes qu’ils traduisent ?
Les auteurs écrivent des préfaces, mais n’abordent pas la question de la traduction et des problèmes liés à la pratique de la traduction.
3.3. LE RÔLE CULTUREL DE LA TRADUCTION
La traduction et la langue
3.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (Existe-t-il une norme unique pour cette langue ? Coexistence éventuelle avec d’autres langues ?)
Le letton est devenu langue officielle depuis le décret du 4 janvier 1918 . Ce décret accorde des droits égaux aux langues allemande et russe. La presse des premières années de la République lettone paraît dans les trois langues. Suite à plusieurs réformes dans la législation lettone, la langue acquiert une importance toujours plus grande jusqu’à la loi dite « De la langue lettone » du 5 janvier 1935.
Le passage à l’orthographe contemporaine et à l’alphabet latin se met en place progressivement. En 1908, le projet de réforme d’orthographe est mis en œuvre par deux linguistes éminents : K. Mīlenbahs et J. Endzelīns. Ce projet prévoyait le passage à l’alphabet latin (antiqua) en remplaçant les combinaisons de lettres par š, č, ž, la marque de la longueur des voyelles est représentée par un trait au-dessus de la lettre ā, ī, ē, ū et la graphie du diphtongue ee est remplacé par ie. La nouvelle orthographe entre en vigueur seulement après la première guerre mondiale. Juridiquement, il devient obligatoire en 1919, mais son usage ne se stabilise que dans les années 1940.
3.3.2. La traduction joue-t-elle un rôle dans l'évolution de la langue ?
Oui, mais la langue littéraire s’est déjà formée et la réforme de l’orthographe est mise en place, donc l’évolution de la langue n’est plus si rapide. Il est question généralement du vocabulaire et, pour une grande part, des emprunts, mais aussi des néologismes, dans le domaine des termes scientifiques (philosophie, par exemple).
La traduction et la littérature
3.3.3. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement des formes, des genres et des courants littéraires, notamment dans l'avènement de la modernité ?
Le modernisme est un courant en grande partie importé, la littérature lettone étant dès ses origines très attachée à la tradition réaliste. La traduction et des articles sur Baudelaire et Verlaine, par exemple, entraînent une polémique littéraire ayant pour titre « Faunes ou clowns ? » (Fauni vai klauni ?), dans laquelle son initiateur J. Jansons-Brauns accuse les jeunes auteurs lettons d’avoir suivi leurs prédécesseurs étrangers sur la voie du modernisme qui, à son avis, est perverse, dépravée et maladive.
La traduction et la société
3.3.4. À quelles fins traduit-on (esthétiques, commerciales, politiques, sociales) ?
Les traductions sont dues, essentiellement, aux initiatives des auteurs-traducteurs. Les raisons commerciales viennent après la fondation des maisons d’édition et la constitution du marché du livre. La motivation politique ou sociale est faible.
3.3.5. Qui prend en général l’initiative des traductions (traducteurs ? éditeurs ? libraires ? mécènes ? pouvoir politique ou religieux ?)
Traducteurs, éditeurs et libraires sont dans des positions égales.
3.3.6. Quels sont les supports de publication et les modes de diffusion des traductions ?
L’essor des maisons d’édition en Lettonie indépendante (1918-1940) est considérable. En 1925, la Lettonie est le deuxième pays du monde, après le Danemark, pour le nombre de titres édités proportionnellement à la population. Dix ans plus tard, la crise économique a réduit le chiffre de plus de la moitié, mais il reste pourtant remarquable. Les éditeurs les plus célèbres sont Ansis Gulbis, Jānis Roze, Jānis Rapa et Artūrs Valters (maison d’édition Valters un Rapa). Haralds Rudzītis (tel un Hachette letton) promeut des livres bon marchés et introduit de nouveaux principes dans leur distribution, visant à la commercialisation massive du livre. En 1940, il y a 479 maisons d’édition en Lettonie. Plusieurs maisons d’édition ont leurs propres librairies.
3.3.7. Y a-t-il des différences à cet égard avec la littérature originale ?
Il est vrai que la préoccupation des grands éditeurs lettons est la popularisation et la distribution de la littérature nationale. Pourtant, l’édition des œuvres de grands classiques mondiaux est également considérée comme une entreprise prestigieuse.
3.3.8. Quel est le public des traductions ? Est-il différent du public de la littérature originale ?
On peut supposer qu’il existe une censure (même inédite) interdisant les œuvres d’orientation socialiste ou communiste. Après le coup d’état de 1935, de K. Ulmanis, beaucoup d’éditeurs renoncent à leurs activités, car la diffusion d’une pensée contraire au régime autoritaire est strictement défendue.
3.3.9. Réception critique des traductions ?
On ne peut pas parler de la réception critique.
3.3.10. Existe-t-il une censure visant spécifiquement des traductions ?
Non.
3.3.11. Les modalités d’exercice de la traduction sont-elles influencées par les identités nationales, sociales, etc. (choix des textes, mode de traduire, langue de la traduction) ?
Les traducteurs et le public letton sont attachés aux auteurs scandinaves. La mentalité « nordique » joue un rôle important. Dans les années 1920, on remarque un tournant vers la littérature française, considérée comme plus « valeureuse » que la littérature allemande, dont le sentimentalisme avait envahi la littérature lettone en sept siècles de domination.
3.3.12. Des traductions ont-elles joué un rôle dans l'évolution des idées et de la société ?
Oui, surtout Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche.
SOURCES
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